L’échec d’une MLB d’intérieur : la National Professional Indoor Baseball League

19 novembre 1939. Les Brooklyn Dodgers reçoivent leurs rivaux des New York Giants pour une double rencontre. Mais le match n’aura pas lieu à Ebbets Field. Et il ne s’agit pas d’un match entre les Giants et les Dodgers en Major League Baseball. Il s’agit de l’Opening Day de la National Professional Indoor Baseball League et le match se joue dans l’arsenal du 14ème Regiment d’Infanterie de l’armée américaine à Brooklyn.

Quelques jours avant, le 14 novembre à l’hôtel Commodore de New York, la légende du baseball Tris Speaker annonce le lancement de la National Professional Indoor Baseball League. Une idée qu’il travaille depuis plusieurs mois : créer une ligue hivernale professionnelle en intérieur d’indoor baseball ou, comme on l’appelle aujourd’hui, de softball.

L’Indoor Baseball est une invention du journaliste Georges Hancock qui, un jour de 1887 à Chicago, eut l’idée d’inventer un baseball d’intérieur après avoir vu un étudiant lancé un gant de boxe à l’un de ses camarades qui le frappa avec un manche à balai alors qu’un groupe de jeunes hommes s’étaient rassemblés dans un gymnase (Honus vous avait conté cette histoire).

Très vite, cette idée se répand dans les villes américaines. L’urbanisation galopante et le manque de terrains en extérieur rend les sports indoor très populaires. La généralisation de l’électricité dans les villes permet d’avoir une pratique sûre en intérieur. C’est à la même période, en 1891, que James Naismith, professeur de gymnastique au Springfield College dans le Massachusetts, invente le basketball pour permettre aux joueurs de football américain ou de baseball d’exercer une activité sans contact, sans gros risque de blessure, en hiver. Le premier nom du basket est d’ailleurs indoor football.

L’indoor baseball devient le sport numéro 1 dans les usines. Il permet, dans des lieux restreints, une activité sportive qui tend à améliorer l’état physique et psychologique des ouvriers. Les sapeurs pompiers développent également de nombreuses ligues pour se maintenir en forme. Le succès est tel que, dès 1888, l’indoor baseball se joue en extérieur. Il devient un baseball récréatif, adapté à tous les publics, permettant d’initier au baseball les femmes et les enfants. En 1888, l’idée d’une ligue professionnelle d’indoor baseball au Madison Square Garden est même étudiée à New York. Le New York Times clame d’ailleurs, en 1889, que l’indoor baseball remplacera à terme le baseball outdoor.

Indoor Baseball, Indoor-Outdoor Baseball, Kitten Ball, Lemon Ball, Diamond Ball, Mush Ball, Pumpkin Ball… le jeu va connaître différents noms à mesure qu’il se développe et accroît sa popularité à travers le pays, tant en intérieur qu’en extérieur. Il faut attendre 1926 pour voir la première mention du nom de softball lors du National Recreation Congress.

Si Hancock établit des règles officielles en 1889, le jeu va également évoluer à ce niveau selon les villes et les ligues. Devant le succès du jeu, l’Amateur Softball Association est formée en 1933, adoptant formellement le nom de « softball », et des règles officielles sont codifiées l’année suivante.

Guide de l’Indoor Baseball de 1926

Devant le succès du softball, un homme a une idée. Une idée d’une MLB indoor. Le baseball dans les ballparks sous le soleil de l’été. Le softball dans les gymnases l’hiver. La Major League Baseball au grand air. La National Professional Indoor Baseball League (NPIBL) au chaud. Et cet homme, c’est Tris Speaker.

Tris Speaker, « the Grey Eagle », est une légende du baseball et il l’est déjà en 1939 puisque, deux ans plus tôt, il a été élu au National Baseball Hall of Fame. Il faut dire que le bougre, passé notamment par les Boston Red Sox et les Cleveland Indians, aligne des performances exceptionnelles. Si on se plaît à honorer habituellement les Babe Ruth, Ty Cobb, Honus Wagner, Lou Gehrig, Joe DiMaggio, Ted Williams et consorts, Tris Speaker est leur égal. Affichant une moyenne de frappe en carrière de .345, il détient le record MLB en doubles frappés (742) ainsi qu’en « assist » pour un champ extérieur (449). Il appartient également au club select des frappeurs à plus de 3000 coups sûrs, 3515 exactement soit la 5ème marque de l’histoire de la MLB. MVP de l’American League en 1912, il remporte les World Series en 1912 et 1915 avec Boston puis en 1920 avec Cleveland.

Quand ce dernier annonce durant l’été 1939 qu’il souhaite monter une ligue professionnelle d’indoor baseball de novembre à mars, on le voit déjà comme le futur Juge Landis du softball. Mais une version du Juge Landis apprécié des foules… Pour la star, nul doute que sa NPIBL peut être la MLB de l’hiver, attirer les foules, devenir un succès économique et permettre de découvrir les futurs talents de la MLB.

L’année est en plus idéale puisqu’il s’agit du centenaire du baseball. Et oui, à l’époque, l’histoire officielle veut que le baseball fut inventé par le général Abner Doubleday à Cooperstown. Aujourd’hui, on sait que le premier à avoir codifié les règles du baseball moderne est Alexander Cartwright en 1845. En 1903, Henry Chadwick réfute dans un article une croyance, entretenue depuis plusieurs années par AG Spalding, que le baseball est une invention purement américaine. Il démontre la filiation entre le baseball et les jeux anglais comme le cricket ou le rounders. Pour sauver l’honneur de la patrie, on crée en 1905 la commission Mills qui, deux ans plus tard et sans sérieux scientifique, déclare que le héros de la guerre de sécession Abner Doubleday a créé le baseball dans sa ville natale de Cooperstown. Le National Pastime et la patrie sont saufs.

L’instinct de Speaker s’est bien avéré terrible sur ce coup…

Le 14 novembre, à l’hôtel Commodore de New York, il lance officiellement la NPIBL dont il sera le président. Son vice-président est Huntington « Tack » Hardwick, ancienne gloire de l’équipe universitaire de football américain de Harvard, membre de l’équipe All-American de 1914. Également capitaine d’artillerie de l’armée US et déployé en France durant la Première Guerre Mondiale, il réunit, en 1926, un groupe d’investisseurs de Boston pour créer une équipe de hockey sur glace à Chicago afin d’évoluer en NHL. Il vendit un mois plus tard l’équipe qui devint les Chicago Blackhawks, détenteurs de l’actuel Stanley Cup.

La ligue se compose de huit équipes situées dans des villes accueillant des équipes des Ligues Majeures. Elles sont réparties en deux divisions. Dans la division Est, on retrouve New York, Boston, Brooklyn, Philadelphie. Dans la division Ouest, Cleveland, Chicago, Saint Louis et Cincinnati. Dans le projet initial, Speaker voit même douze équipes avec notamment Détroit et Toronto (près de 40 ans avant la création des Blue Jays et 30 ans avant celle des Expos de Montréal, première franchise hors USA).

La ligue doit fonctionner de novembre à mars avec 102 matchs en saison régulière puis les playoffs enchaînent, voyant s’affronter chaque leader de division. Les équipes comptent neuf joueurs sur le terrain (contre sept généralement en indoor baseball) avec des rosters de quinze personnes. La balle est de la même dimension que les balles actuelles de softball fastpitch et le lancer se fait naturellement sous l’épaule, comme aux premières années du baseball.

Pour piloter les équipes, Speaker recrute d’anciens joueurs des Big Leagues. Son ancien coéquipier, Bill Wambsganss prend en charge l’équipe de Cleveland. Ils ont remporté ensemble les World Series de 1920 avec les Indians. Durant cette fameuse série finale de 1920, Wambsganss devint l’unique joueur à avoir effectué en World Series un triple jeu défensif sans assistance. Le troisième joueur éliminé durant cette extraordinaire action défensive fut Otto Miller, qui fit toute sa carrière aux Brooklyn Dodgers (qui s’appelaient alors les Brooklyn Robins). Il en fut même coach après sa carrière de joueur. Tout naturellement, il fut choisi pour manager l’équipe de Brooklyn.

"Et un, et deux, et trois zéro !"

New York est confié à la charge de Moose McCormick, un ancien joueur à la carrière particulière. Joueur pour les New York Giants en 1904, il finit cette saison là chez les Pirates de Pittsburgh. Puis il arrête pour devenir vendeur dans le commerce de l’acier. Il revient dans les Big Leagues avec les Phillies de Philadelphie en 1908 et change de nouveau d’équipe en cours de saison pour revenir chez les Giants jusqu’en 1909. Il redevient ensuite vendeur en 1910 et 1911 avant de rejoindre une nouvelle fois les Giants entre 1912 et 1913. Il stoppe définitivement sa carrière à la fin de la saison. Il fut l’un des premiers pinch hitters de l’histoire de la MLB. Il dirigea par la suite plusieurs équipes professionnelles ou universitaires.

McCormick sert ensuite en France durant la Première Guerre Mondiale. Il se retrouve donc, comme tout soldat américain, sous les ordres du général Pershing (qui donna son nom au complexe sportif où se trouve l’un des deux terrains de baseball de Paris et où le général organisa les jeux inter-alliés de 1919 dont une compétition de baseball). Hasard de l’histoire, le président du club de New York n’est autre que le fils du général Pershing, Francis Warren Pershing.

Gabby Street, « The Old Sarge » (« le vieux sergent »), l’un des receveurs les plus spectaculaires de sa génération, hérite de Saint Louis en tant qu’ancien joueur et manager des Cards de Saint Louis, avec lesquels il remporte les World Series de 1931 durant sa seule année comme joueur-manager, et des Saint Louis Browns. Il deviendra ensuite le commentateur des équipes de la ville en compagnie d’un jeune débutant, un certain Harry Caray.

Cincinnati échoit à l’une de ses stars des années 20, Bubble Hargraves. Meilleur frappeur de la National League en 1926, terminant sa carrière avec une moyenne de frappe de .310, ce receveur, passé également par les Cubs et les Yankees, fut surnommé « Bubbles » parce qu’il bégayait sur la lettre B.

Boston est confié, là aussi, à un ancien joueur de la ville, Freddie Maguire. Il joue pour les Boston Braves de 1929 à 1931, faisant parti d’un transfert de cinq joueurs en échange de futur Hall of Famer Roger Hornsby qui s’envole à Chicago pour rejoindre les Cubs. Comme Hornsby, Maguire joue seconde base mais il échouera à le remplacer. Il héritera même de la « Triple Crown loser » durant les saisons 1929 et 1931 en terminant dernier des trois catégories moyenne de frappe, homerun et point produit. Il choisit pour l’assister Joe Dugan, ancien des Boston Braves de 1929 mais surtout membre des New York Yankees de 1922 à 1928, époque Murderer’s Row, où il remporta trois World Series dans l’une des équipes les plus fortes de l’histoire du baseball, aux côtés de légendes telles que Babe Ruth, Lou Gehrig, Tony Lazzeri, Earle Combs, Bill Dickey ou Leo Durocher.

Serial Killers (Lou Gehrig, Tony Lazzeri, Mark Koenig, Joe Dugan, infield des NY Yankees de 1927)

Enfin, Chicago est confié aux bons soins d’un spécialiste du jeu mais qui ne fut ni joueur ni manager dans les Big Leagues mais arbitre. Brick Owens officia plus de 25 ans dans la National League puis l’American League. Il officia sur cinq World Series et fut l’arbitre en chef sur les deux dernières. Il officia également lors du 2ème All Star Game de l’histoire de la MLB, en 1934. Il reçut le surnom de « Brick » après avoir reçu des briques des tribunes de spectateurs mécontents d’un de ses appels. Une brique le toucha à la tête mais il n’eut par chance aucune blessure grave. Il faut dire que Brick Owens n’en était pas à sa première blessure. Plus jeune, il voulait devenir joueur professionnel de baseball mais dut renoncer à ce projet après s’être tiré dans la main accidentellement lors de la fête nationale d’Indépendance. Devenu arbitre professionnel en Ligues Mineures, il se battit un jour avec un joueur qu’il venait d’éliminer par trois strikes. Le joueur lâcha sa batte et alla se battre avec Owens, fort mécontent de sa décision. Tout comme un spectateur qui entra sur le terrain qui, se saisissant de la batte, frappa Owens à la tête.

Une autre fois, un joueur, mécontent de son expulsion, se rendit à son hôtel pour l’agresser. À Minneapolis, en 1906, après avoir expulsé sept joueurs de l’équipe locale, une foule en colère lui lança œufs et choux puis le suivit jusqu’à son hôtel. Le police dut l’évacuer en urgence vers la gare pour lui faire quitter la ville. À Milwaukee deux ans après, un policier le sauva alors qu’il venait de se faire mordre un doigt. Brick Owens fit parti, comme Bill Klem, d’une époque où les arbitres étaient à la merci des joueurs et fans mécontents et où la violence envers le corps arbitral était récurrente.

Côté joueurs, pas de stars de la MLB mais plutôt des joueurs recruter sur try-outs et quelques grosses pointures du monde du softball. Il y a du talent mais on est loin des lumières du Show. Quant aux lieux, on ne les connaît pas tous mais on sait que Boston joue ses matchs au Boston Garden dont Tack Hardwick, le vice-président de la NPIBL, fut l’un des promoteurs. Brooklyn reçoit à l’arsenal du 14ème Regiment et New York au Bronx Coliseum.

Balle d’Indoor Baseball, 1910.

On en sait finalement peu sur le championnat. Brooklyn et New York partagent lors de l’Opening Day. Au 8 décembre, Cincinnati a perdu cinq de ses six matchs joués. Avec six matchs joués seulement depuis le 19 novembre, on est loin des 102 matchs de saison régulière. Chicago n’a jamais réussi à monter son équipe et n’a, par conséquent, jamais joué un seul match.

Début décembre, les trois clubs de l’ouest souhaitent que la ligue modifie le calendrier. En effet, sans Chicago, ils ont calculé que les clubs de la division Ouest devront parcourir 20 000 miles, là où les clubs de la MLB font au maximum 14 000 miles en saison régulière. Déplacements trop longs, trop onéreux, trop contraignants surtout que peu de matchs sont joués et que le succès n’est pas au rendez-vous.

Mis à part Boston qui voit 8500 spectateurs lors du premier match, l’affluence est faible. Le prix des billets sont chers surtout que le niveau de jeu est loin de celui de la MLB. La ligue doit faire face à l’Amateur Softball Association qui décrète que tout joueur participant à cette ligue n’aurait plus le statut amateur et ne pourrait plus jouer à ses compétitions durant un an ainsi qu’à toute compétition de l’Amateur Athletic Union. Cela freine la venue de nombreux excellents joueurs de softball qui ne veulent pas prendre ce risque pour de faibles salaires et une ligue qui ne semble pas décoller.

Face au peu d’intérêt que suscite la ligue, celle-ci prend la décision de cesser ses activités le 22 décembre. La National Professional Indoor Baseball League n’aura vécu qu’un mois. Loin de devenir la MLB d’intérieur et un vivier de talent pour les Big Leagues, elle devient l’un des plus beaux échecs du sport américain mais un échec qui n’aura rien de retentissant. L’échec ultime, celui qui sombre dans l’anonymat. Tout juste sera-t-il, durant plusieurs décennies, la preuve que le softball ne peut se professionnaliser. Il faudra attendre la National Pro Fastpitch pour voir un projet de softball professionnel s’inscrire dans la durée.

Match d’Indoor Baseball en 1905

En annonçant la cessation d’activité de la NPIBL, Tris Speaker garde l’espoir qu’elle puisse reprendre dans le futur. Il n’en sera rien. Il crééra une fondation caritative pour les enfants de Cleveland puis rejoindra le président Bill Veeck aux Indians comme « ambassadeur de bonne volonté », où il cumulera les fonctions de consultant, de coach et de recruteur, devenant le mentor de plusieurs joueurs dont Larry Doby, le premier joueur noir de l’American League et le second de la MLB après Jackie Robinson.

Il faudra finalement attendre 1965 pour voir des matchs de MLB en salle. Et quelle salle puisque cette dernière n’est autre que le mythique Astrodome où évoluent les Astros de Houston. On peut aujourd’hui seulement regretter l’échec de la NPIBL. Oui, imaginez. Baseball Majeur de mars à novembre. Baseball Majeur Indoor de novembre à février. Baseball Majeur toute l’année. Finie la frustration d’après World Series. Le rêve.

 

 

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