Hank Thompson, dans l’ombre de Jackie Robinson

Jackie Robinson est une lumière. Une lumière d’une grande intensité dans l’histoire de la MLB et du sport. Il a brisé les barrières du racisme dans le baseball et les sports US. Mais sa lumière fut si intense qu’elle plaça dans l’ombre ceux qui le suivirent de près et qui, eux aussi, brisèrent les barrières de la ségrégation et du racisme dans le baseball majeur et au-delà. Et au premier rang de ces suiveurs de l’ombre, Hank Thompson, troisième afro-américain à avoir joué en MLB en 1947 après Jackie Robinson et Larry Doby. Pourtant, Henry Curtis « Hank » Thompson peut s’enorgueillir d’avoir à son palmarès de nombreuses premières pour un afro-américain dans les Majeures.

Mais Hank Thompson, c’est aussi une histoire torturée, de son enfance jusqu’à sa mort, et dont pâtira sa carrière, l’empêchant de suivre les traces d’un Jackie Robinson jusqu’au Hall of Fame malgré un grand talent.

Ce talent est né le 8 décembre 1925 dans l’Oklahoma. Quelques années plus tard, la famille déménage à Dallas et ses parents, dont un père alcoolique, se séparent. Hank reste avec sa mère, souvent absente à cause de son travail, obligeant la grande sœur de Hank à prendre le relais. Côté école, Hank joue les déserteurs, passant plus de temps dans les rues de Dallas. À l’âge de 11 ans, première confrontation avec la police. Il est accusé d’avoir volé des bijoux dans une voiture. Au final, il ne sera pas poursuivi pour ce délit mais, du fait de son absentéisme scolaire, les policiers décident de l’envoyer à la Gatesville Reform School. C’est dans cette maison de correction que le jeune Hank va intégrer pour la première fois une équipe organisée de baseball.

À sa sortie, il part vivre avec son père mais il finit par retourner chez sa mère, déclarant être battu par son paternel, ce dernier refusant même qu’il joue au baseball. Le jeune Hank continue donc de traîner dans les rues de Dallas, quand il n’est pas à l’école, jusqu’à tomber sur le Burnett Field où se produisent les Dallas Steers de la Texas League. L’équipe lui permet d’attraper quelques balles et de lancer des batting practices jusqu’à ce qu’une équipe semi-pro de Negro League l’embauche comme joueur à 15 ans. Cette équipe sera un tremplin mais aussi le commencement d’un problème qui le poursuivra durant toute sa carrière : l’alcoolisme.

La Mitrailleuse

La Mitrailleuse

 

Très rapidement, son talent tape dans l’œil d’une star des Negro Leagues, Bonnie « El Grillo » Serrell des Kansas City Monarchs auxquels il recommande le jeune Hank. Le club le fait venir à son spring training de la Nouvelle Orléans et il gagne sa place dans l’équipe. À 17 ans, celui que l’on surnomme « Youngblood », joue avec des légendes comme Satchel Paige et Buck O’Neill, assure sa place au champ droit et frappe pour .314 de moyenne.
 
Malheureusement, la Seconde Guerre Mondiale arrive et « Youngblood » s’engage dans l’armée en 1944, servant comme artilleur dans le 1695th Combat Engineers. Il participe à la terrible bataille des Ardennes, gagne quelques médailles et part de l’armée en 1946 avec le grade de sergent.
 
Après ses exploits militaires, il revient chez les Monarchs au cours de la saison ’46 pour occuper le poste de seconde base. Cette année-là, il joue les Colored World Series face aux Newark Eagles d’Effa Manley, que ces derniers remportent. À l’issue de la saison, Thompson rejoint une équipe itinérante montée par Satchel Paige afin d’affronter une équipe de Major League menée par la star de Cleveland, Bob Feller. Le lanceur des Indians, futur Hall of Famer comme Paige, dira de Thompson, le plus jeune de l’équipe des Negro Leaguers, qu’il en était aussi le meilleur.
 
À l’issue de ces matchs d’exhibition, Thompson enchaîne avec la Cuban Winter League et les Havana Reds. Il y excelle à la frappe durant trois saisons, gagnant le surnom de « Ametralladora », la « mitrailleuse », référence à ses exploits militaires et à son coup de batte. Il y rencontrera également sa future femme.
 
En 1947, Il occupe le poste de short-stop chez les Monarchs, poste tenu en 1945 par un certain Jackie Robinson. Il frappe pour .340 et attire l’attention des Saint Louis Browns qui évoluent dans l’American League de la MLB. Avec Jackie Robinson qui a brisé la Color Line en Ligues Majeures, plusieurs équipes suivent les traces des Brooklyn Dodgers de Branch Rickey. Les premiers à suivre la voie de l’intégration sont les Cleveland Indians de Bill Veeck. Ils engagent la star des Newark Eagles Larry Doby, qui devient ainsi le premier joueur afro-américain a brisé la ségrégation en American League, le 5 juillet 1947. En fait, Bill Veeck, un innovateur excentrique qui n’avait pas peur de surprendre (Honus vous a déjà parlé de plusieurs de ses folles idées comme le nain Eddie Gaedel ou la Disco Demolition Night), avait déjà tenté de briser la Color Line en 1942, souhaitant racheter les Phillies de Philadelphie et y amener des joueurs des Negro Leagues. Mais il s’était vu contraint de renoncer à ce projet par l’impitoyable, austère et ségrégationniste commissaire du baseball de l’époque, le juge Kenesaw Mountain Landis.
 
Douze jours après Larry Doby, Hank Thompson devient le troisième joueur afro-américain a brisé la barrière raciste de la MLB, le deuxième de la ligue américaine. Son contrat fut racheté pour 5000$ par les Browns en juillet, comme celui du vétéran et autre star des Monarchs Willard Brown. Le 20 juillet, les deux anciens des Monarchs jouent ensemble et pour la première fois, deux joueurs afro-américains apparaissent sur un même terrain de la MLB. Enfin, les premiers depuis Welday et Moses « Fleet » Walker, les deux frères afro-américains qui jouèrent ensemble en Ligues Majeures lors de la saison 1884 avec les Toledo Blue Stockings, avant que la ségrégation ne s’installe durablement dans le Baseball Organisé quelques années plus tard.
 
Malheureusement, aucun des deux anciens Monarchs ne s’impose dans l’équipe. Malgré un bon accueil de leurs coéquipiers blancs, Brown a du mal à supporter le racisme ambiant tandis que le jeune Thompson n’affiche qu’une décevante moyenne de .256 à la batte. En août, les deux compères repartent jouer pour Kansas City. Thompson aura eu le temps, tout de même, d’être le premier afro-américain à jouer au Yankee Stadium, à jouer deuxième base et à affronter un autre afro-américain quand les Bronws rencontreront les Indians de Larry Doby. À 21 ans, il fut aussi le plus jeune joueur afro-américain à intégrer une équipe de la MLB.

Thompson et Brown chez les Saint Louis Browns

 

De retour à Kansas City, Thompson retrouve sa batte et migre au champ extérieur. Il entame la saison ’48 sur le même rythme, attirant de nouveau les regards de la MLB. Si en 1948, seuls les Dodgers et les Indians alignent des joueurs afro-américains, 1949 va voir de grands noms débarquer des Negro Leagues. Don Newcombe et Roy Campanella rejoignent Robinson à Brooklyn tandis que Monte Irvin, Hank Thompson et Ford Smith signent avec les New York Giants et intègrent leur équipe de Ligues Mineures de Jersey City en International League. Les deux premiers font leurs débuts avec les Giants le 8 juillet de la même année. Pourtant, Hank Thompson aurait pu ne jamais regoûter aux joies des Majeures.
 
Le 4 avril 1948, alors qu’il se rend à San Antonio au spring training des Monarchs, il passe voir sa sœur aînée à Dallas. Il en profite pour se rendre à une fête locale, une beer garden organisée par un bar, et joue à une partie improvisée de baseball avec un certain « Buddy » Crow. Connu pour son caractère irascible, Crow s’emporte et menace Thompson avec un couteau, qui le descend de plusieurs balles avec son arme personnelle qu’il porte régulièrement. Accusé de meurtre, Thompson invoque la légitime défense. Il paie une caution de 5000$ et rejoint les Monarchs. Finalement, avec l’aide des Giants, il sera par la suite relaxé et pourra ainsi poursuivre sa carrière dans les Majeures.
 
Ironie de l’histoire, celui qui œuvra à briser la Color Line de la MLB, instituée à la suite des lois ségrégationnistes « Jim Crow », tua dans un bar un homme du nom de… James Crow.
 
Contrairement à son expérience malheureuse avec Saint Louis, Thompson performe avec les Giants, postant une moyenne de .280 à la batte avec neuf homeruns en 75 parties. En affrontant le lanceur des Dodgers Don Newcombe le 8 juillet, il devient le premier afro-américain a frappé un coup sûr face à un lanceur afro-américain en MLB.
 
La saison suivante, le club le déplace à la 3ème base afin de libérer la seconde pour Eddie Stanky, l’un des coéquipiers de Jackie Robinson en 1947. D’ailleurs, les deux hommes évoluent sous la houlette du manager Leo Durocher, qui fut brièvement le manager de Jackie Robinson aux Dodgers lors du spring training ‘47 avant d’être suspendu le reste de la saison par le commissaire du baseball Happy Chandler pour « association avec des parieurs ».
 
Thompson connaît une excellente saison 1950, frappant pour .289 avec 20 homeruns et 91 points produits, le plus haut total de l’équipe cette saison-là. Il inscrit même deux inside-park-homerun dans un match face aux Dodgers. Il participe également à 43 double-jeux, établissant un record en National League qui tiendra jusqu’en 1974 bien que son record, établi en 138 matchs, sera battu par Darrell Evans en 160 matchs. Pourtant, il va connaître une saison 1951 très compliquée. Ses performances déclinent jusqu’en juillet où il est blessé par les spikes de Frank Hiller, lanceur des Chicago Cubs. Durant sa convalescence, il perd son poste au profit de Bobby Thomson, qui lui-même a été remplacé au champ centre par la jeune sensation Willie Mays.
 
Après un passage salvateur en ligue mineure AA avec les Minneapolis Millers de l’American Association, il réintègre les Giants mais sur le banc. Et ses rares apparitions en pinch-hitters ne sont guère flamboyantes à l’exception d’actions décisives lors d’un match face aux Pittsburgh Pirates en septembre durant la course serrée que mènent alors les Giants et les Dodgers en tête de la National League. Course qui mènera à l’un des plus grands matchs de l’histoire de la MLB, le fameux Miracle de Coogan Bluff où Bobby Thomson frappera « The Shot Heard ‘Round The World ».
 
D’ailleurs, durant ce fameux match, l’outfielder Don Mueller se blesse et donne ainsi l’occasion à Thompson de prendre place au champ droit lors des World Series face aux Yankees de New York où Joe DiMaggio joue ses derniers matchs. Les Giants s’inclinent face à leurs rivaux new-yorkais de l’American League et Thompson y est désastreux, frappant pour .143 avec deux grosses erreurs en champ droit. Il marque quand même l’histoire de la MLB lors de ces World Series en faisant partie du premier trio 100 % afro-américain en champ extérieur avec Monte Irvin et Willie Mays. Plus tôt dans la saison, les trois furent les premiers à remplir les bases avec des joueurs afro-américains.

Brelan d’As : Monte Irvin, Willie Mays, Hank Thompson

 

Sa place chez les Giants n’est plus du tout assurée pour la saison 1952 mais les malheurs des uns faisant le bonheur des autres, la blessure de Monte Irvin offre une nouvelle chance à Thompson sans compter que Willie Mays rejoint l’armée en mai. Thompson va naviguer toute la saison entre l’outfield et l’infield et aligner des stats correctes en attaque.
 
Après une tournée avec les Roy Campanella’s All-Stars, où l’on retrouve Larry Doby, Monter Irvin et Willie Mays, il retrouve les Giants et le banc du dugout. Position provisoire puisqu’il retrouve le hot corner rapidement et frappe pour sa meilleure saison en MLB : .302 AVG, 24 homeruns, 74 points produits, un slugging de .567 et .967 d’OPS. Cet année-là, il se fait également remarquer pour une violente altercation avec un taxi. La publication afro-américaine Our Sports titre son article sur Thompson « Problem Child ? ».
 
Il finit la saison blessé par une grounder et commence la saison 1954 dans le même état mais il va encore démontrer son talent avec une moyenne à peine correcte de .263 certes mais en frappant 26 homeruns et 86 points produits, soutirant 90 buts sur balle au total.
Des performances qui aident l’équipe à parvenir jusqu’aux World Series et à les remporter face aux Indians de Larry Doby et Bob Feller. Les dernières World Series que gagnera la franchise avant le titre de 2010 à San Francisco et les World Series qui auront vu Willie Mays réaliser son célèbre « The Catch », dos à la balle au fin fond du champ centre. D’ailleurs, le natif de l’Oklahoma réussit de belles séries finales en défense et en attaque, avec une moyenne à la batte de .364, un pourcentage de présence sur base de .611, soutirant un total de sept buts sur balle, surpassant le record alors détenu par Lou Gehrig.
 
Mais une nouvelle fois, Thompson décroche. Sa saison 1955 est très moyenne. Monte Irvin, que Durocher avait nommé au poste officieux de chaperon de Thompson, est envoyé dans les Mineures, ce qui laisse Thompson livré totalement à la bouteille. Même s’il assure n’avoir jamais bu avant ou pendant les matchs, il déclara peu de temps avant sa mort « 99 % de mes problèmes sont sortis d’une bouteille ».
 
Il enchaîne avec une blessure à l’épaule au printemps suivant, perdant son poste de titulaire. Sa moyenne de frappe chute encore. Il excelle seulement comme pinch-hitter. Résultat, il commence la saison 1957 en Ligues Mineures avec Minneapolis. Cette fois-ci, les Millers ne le remettront pas sur les rails. Après une décevante et ultime tentative de se relancer en Puerto Rican Winter League, Hank Thompson met fin à sa carrière. « Je suis devenu un has-been du baseball à 32 ans » disait-il.
 
Au total, Hank Thompson aura frappé 129 homeruns et 482 points produits en MLB pour une moyenne de frappe de .267 en 933 rencontres.
Si sa carrière prend fin, ses ennuis le poursuivent. Sans emploi, il dilapide rapidement l’argent gagné avec les Giants. Durant sa première année de retraité du baseball, il est arrêté pour le vol d’une voiture puis accusé de violation de domicile et de l’agression d’une femme. Les poursuites sont abandonnées pour le vol de la voiture mais il passe une semaine en prison pour l’agression avant de sortir sous caution. En 1959, il divorce. En recherche de finances, il met au clou sa bague de champion des World Series 1954. Ce n’est pas suffisant et, en 1961, il commet un hold-up dans un bar de Brooklyn pour la somme de 37$. Bien connu des lieux, il est arrêté et condamné. Peine clémente, on le condamne seulement à quitter New York grâce à l’intervention d’Horace Stoneham, propriétaire des Giants, et de Ford Frick, le commissaire du baseball.
 
Un répit de courte durée. En 1963, il est condamné pour le vol à main armée d’un commerce d’alcool de Houston. Une somme de 270$ qui l’envoie dix ans derrière les barreaux d’une prison texane. Cependant, c’est en prison que Thompson trouve un second souffle. Il rejoint les Alcooliques Anonymes, se tourne vers la religion, conseille les prisonniers qui exécutent leurs premières peines et coache l’équipe de baseball de la prison. Résultat, il est libéré en 1966, seulement quatre ans après sa condamnation.
 
Il part vivre en Californie chez sa mère et trouve un emploi comme directeur d’une aire de jeux. Il commence même à travailler avec des adolescents difficiles pour transmettre son expérience. En 1969, Sidney Poitier s’intéresse à son histoire pour en faire un film. Il apparaît dans un match des anciennes gloires des Giants et souhaite travailler pour le club. Une avenir meilleur semble se dessiner. Malheureusement, il décède d’une attaque cardiaque le 30 septembre 1969, à l’âge de 43 ans, 13 ans jour pour jour après son dernier match dans les Majeures.
 
Sa vie aura autant été un sprint qu’un parcours de montagnes russes. Et comme le symbole d’une carrière « barriers breaker » faite dans l’ombre de Jackie Robinson, il joua sa dernière partie dans les Majeures le même jour que le dernier match de l’illustre numéro 42.

 

 

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