The Shot Heard ‘Round the World : Miracle à Coogan’s Bluff

Aujourd’hui, Honus revient sur ce qui est considéré comme l’un des plus grands matchs de baseball de l’histoire de la MLB. Une histoire de héros glorieux et de renversements inespérés de situation. Une histoire de miracle pour certains et de tricherie pour d’autres. Une histoire pour Honus en somme.

Au début de la saison 1951, la National League promet une course à trois vers le titre de la ligue et une place en World Series. D’un côté, on a les Phillies de Philadelphie des Hall of Famers Richie Ashburn et Robin Roberts. De l’autre, les New York Giants du manager Leo Durocher mais aussi de Monte Irvin et Willie Mays, trois autres futurs membres du Temple de la Renommée. Enfin, venant de Brooklyn, le troisième larron, les Dodgers, future franchise californienne. Ceux de Jackie Robinson, Pee Wee Reese et Roy Campanella, trois autres joueurs qui intégreront Cooperstown. Bien entendu, les trois équipes possèdent toute une ribambelle de joueurs All-Stars. La lutte s’annonce féroce.

Néanmoins, les Dodgers vont dominer la première partie de saison et comptent au 10 août 12 ½ matchs d’avance sur les Giants et 14 ½ sur les Phillies. Alors que les Phillies décrochent irrémédiablement, les Giants eux vont s’accrocher et relancent la course au fanion. Entre le 12 et le 27 août, ils remportent 16 parties pour ne pointer qu’à 6 matchs des leaders. Au 20 septembre, les Dodgers ont encore une avance de 4 ½ matchs mais les Giants remportent leurs 7 derniers matchs. Les Dodgers se retrouvent acculer et dans l’obligation de remporter leur dernier match face… aux Phillies. En effet, en cas de défaite, les Giants remporteront la Ligue Nationale et se qualifieront pour les World Series. L’affaire semble périlleuse et le match le prouve. Les Dodgers gagnent mais seulement à la 14ème reprise sur le score de 9 à 8.

Les Giants et les Dodgers se retrouvent à égalité et la Ligue décide d’une série de trois en playoffs. Le premier qui gagne deux rencontres pourra affronter les Yankees de New York de Casey Stengel, Joe Di Maggio, Mickey Mantle, Yogi Berra, Johnny Mize et Phil Rizzuto en World Series. Un derby new yorkais en prime contre les champions titre. Mais avant ça, il faut se défaire du vrai derby new-yorkais de la National League, celui des origines. On s’attend à une bataille serrée tant la rivalité Dodgers-Giants est forte et l’enjeu important. Et les deux équipes vont nous l’offrir.

Bobby Thomson

Le premier match se joue le 1er octobre à Ebbets Field, l’antre des Dodgers. Les deux équipes choisissent les lanceurs qui ont le mieux réussi contre l’adversaire du jour. Ralph Branca lance pour Brooklyn et Jim Hearn pour les Giants. Premier coup de théâtre puisque les Giants s’imposent 3 à 1 grâce notamment à des homeruns de Bobby Thomson et Monte Irvin. Les Dodgers vont devoir répliquer dès le lendemain chez les Giants lors du match 2 et donc aux Polo Grounds. Et ils ne vont pas y aller de main morte en signant un shutout par leur lanceur Clem Labine et en frappant 4 homeruns, dont un de Jackie Robinson, pour une écrasante victoire 10 à 0.

L’ultime rencontre promet. Les deux équipes se retrouvent une nouvelle fois aux Polo Grounds en ce jour du 3 octobre 1951. Le stade est plein à craquer. Sur le monticule, l’excellent Sal Maglie des Giants, 2 fois All-Star dont en 1951, meilleur ERA de la NL en 1950 et détenteur du plus grand nombre de victoires en 1951, toujours en NL. Face à lui, les Dodgers envoient Don Newcombe, l’un des premiers joueurs noirs de l’après Robinson, Rookie of the Year lors de sa première année dans le Show en 1949, 4 fois All-Star notamment en 1949, 1950 et 1951, futur Cy Young et MVP de la NL en 1956. En gros, on envoie du lourd de chaque côté pour s’assurer la victoire finale.

Les Dodgers dégainent les premiers. Sal Maglie a du mal dans la première manche, donne deux buts sur balle avant que Jackie Robinson frappe un simple permettant à Pee Wee Reese de marquer le premier point de la partie. Maglie se reprend et à partir de là, un duel de lanceur débute avec Newcombe. Les deux artilleurs ne laissent aucun joueur croiser le marbre jusqu’en fin de 7ème. Les Giants égalisent grâce aux héros du premier match, Irvin et Thomson, qui s’associent pour scorer le premier point de leur équipe. Cela n’affecte pas Brooklyn qui, dès la 8ème manche, reprend l’avantage en prenant trois nouveaux points à Maglie. Les Giants ne répliquent pas en fin de manche et on aborde l’ultime inning sur un score de 4-1. Larry Jansen relève Maglie et sort les trois Dodgers dans l’ordre. Newcombe, lui, reste sur le monticule bien qu’il est lancé quatre jours avant un match complet contre les Phillies puis 5 ½ innings le jour suivant lors du match crucial contre ces mêmes Phillies. Il aimerait sortir du match mais Robinson lui demande de tenir le coup en terminant la rencontre.

Don Newcombe entouré de Jackie Robinson (gauche) et Roy Campanella (droite)

Alvin Dark, l’arrêt-court des Giants, commence la dernière demi-manche par un simple. Pas de souci. Les Dodgers mènent de trois points. Gil Hodges, le première base de Brooklyn, sur décision de son manager joue proche de sa base pour tenter d’éliminer le coureur. Se faisant, il laisse un énorme trou dans la défense. Un trou que va perforer allègrement le champ extérieur Don Mueller. Dark avance en troisième base. En jouant une défense pour un double-jeu, les Dodgers n’en seraient plus qu’à un retrait des World Series. Retrait décisif qui aurait été la pop frappée par Irvin juste après. Au lieu de ça, ils en sont, après la sortie d’Irvin, à un retrait avec coureurs en 1 et en 3. Et donc à portée d’un homerun égalisateur.

Ce n’est pas un homerun que frappe Whitey Lockman mais un double qui permet tout de même à Dark de scorer. Mueller arrive sur la 3 en slidant mais se blesse. Entorse de la cheville. Histoire de rajouter un peu de drame à l’histoire. Clint Hartung le remplace sur le coussin tandis que le manager des Dodgers, Chuck Dressen se dirige vers le bullpen. Ralph Branca et Carl Eskine sont à l’échauffement. Qui choisir ? Selon le coach du bullpen, la courbe d’Eskine n’est pas au mieux. C’est donc Branca, le lanceur perdant du premier match qui devra terminer le match.

Branca est né le 6 janvier 1926 à Mount Vernon dans l’état de New York d’un père italien catholique et d’une mère juive. Son oncle et sa grande-tante sont morts dans les camps d’extermination nazis de Majdanek et d’Auschwitz. Il est signé par les Dodgers en 1943 et joue dans les Majeures depuis 1944. Lors de l’Opening Day 1947, Branca est le seul à suivre Jackie Robinson sur le terrain tandis que les autres joueurs s’y refusent. Il fut l’un des plus grands soutiens de Robinson à ses débuts dans les Ligues Majeures.

Ralph Branca

Trois fois All-Star de 1947 à 1949, il fait parti des très bons lanceurs de la Ligue Nationale, possédant en 1951 le 10ème ERA de la ligue. Une valeur sûre à un tel moment du match. Sauf que Thomson avait déjà pris quelques homeruns à Branca et qu’il avait lancé, et perdu, le premier match des playoffs avec encore un homerun de Thomson. D’autres lanceurs étaient plus frais. La décision de Dressen sera-t-elle payante ou mauvaise comme sur le positionnement de Hodges ? Car le prochain batteur, c’est Bobby Thomson !

Bobby Thomson est né le 25 octobre 1923 à Glasgow en Écosse. Arrivé aux États-Unis en 1925, il grandit à Staten Island, ce qui lui vaudra son surnom de « The Staten Island Scot ». Signé en 1942 par les Giants, il ne débutera qu’en 1946 dans les Majeures puisqu’il est mobilisé dans les forces armées de 1942 à 1945. Avant ce match, il a été élu deux fois All-Star en 1948 et 1949. Il a déjà frappé 31 homeruns cette saison, un sommet en carrière, dont plusieurs pris à Branca, notamment lors du premier match de cette série. Le choix de Dressen apparaît encore plus risqué.

Branca sur le monticule. Premier lancer. Coin intérieur. Strike. Deuxième lancer. Une rapide haute intérieure. Un mauvais lancer à frapper mais parfait pour préparer le prochain, une balle cassante extérieure. Un lancer qui ne viendra jamais. Thomson a déjoué le plan de Branca et de son receveur. Il a frappé. Une belle line drive qui part au champ gauche. Le Dodger du coin, Andy Pafko, la voit et sa rapide trajectoire plongeante. Elle va retomber à la clôture, là où se trouve la marque des 315 pieds (96 mètres). Et effectivement, elle retombe bien à la marque des 315… mais de l’autre côté de la clôture. Three-run homerun. 5-4. Les Giants sont champions de la National League. Ils iront défier les Bronx Bombers champions en titre aux World Series.

Branca et Thomson s’affrontent dans un duel devenu légendaire bien que court !

La trajectoire du "shot heard round the world"

Andy Pafko et la solitude au 315ft.

Les Giants accueillent leur héros

Thomson fait le tour des bases fou de joie. Un attroupement de Giants l’attend au marbre. Les Dodgers quittent rapidement le terrain. Un seul reste sur le diamant. Jackie Robinson. Il reste pour vérifier que Thomson touche toutes les bases. Au cas où… Les bases régulièrement parcourus par le héros du match, Robinson rejoint ses coéquipiers. Avec un seul swing, Thomson a changé le cours du jeu, transformé la défaite annoncée en victoire brillante. Sauf que le coup de grâce de Thomson pourrait aussi être un coup de Jarnac.

Une rumeur persistante va naître. Les Giants auraient utilisé une méthode pour voler les signes du receveur adverse en 1951. Une rumeur mais pas de preuve jusqu’en 2001. Cette année-là, plusieurs joueurs vont confirmer la rumeur au Wall Street Journal. À partir du 20 juillet 1951, avec un télescope utilisé par le coach Frank Hermans dans le clubhouse des Giants derrière le champ centre, les Giants volaient les signes des receveurs. Les informations étaient retransmises par un système de sonnerie au dugout.

Infographie sur le système d’espionnage des Giants

Thomson va toujours nier avoir utilisé ces informations bien que le receveur de l’époque chez les Giants, Sal Yvars, confirmera au journaliste du Wall Street Journal, Joshua Prager, qu’il avait bien indiqué le signe de la balle rapide à Thomson. Quant à la « victime », Ralph Branca, s’il émis des doutes en privé sur les dénégations de Thomson, il sera beau joueur en public, estimant que connaître les signes ne garantissait pas une bonne frappe et que cela restait un moment de baseball incroyable. Grand seigneur.

Néanmoins, la question se pose. L’incroyable série de succès de fin de saison, 37 victoires pour seulement 7 défaites, est-elle du à ce stratagème ? Le besoin de réponse est d’ordre éthique puisque les règles de la MLB n’interdisent pas le vole de signes. Ça fait partie du jeu même si l’usage du télescope semble douteux d’un point de vue éthique.

Le lendemain, les médias sont dithyrambiques face à l’incroyable partie qui s’est jouée. Dans son édition du 4 octobre, le New York Daily News titre « The shot heard ’round the baseball world ». Le titre fait référence au poème « Concord Hymn » de Ralph Waldo Emerson, l’un des philosophes, essayistes et poètes les plus importants de l’histoire américaine. Le poème désigne le premier coup de feu de la guerre d’indépendance américaine et aux deux premières batailles de cette révolution, celles de Lexington et Concord en 1775 :

 By the rude bridge that arched the flood,

Their flag to April’s breeze unfurled,

Here once the embattled farmers stood,

And fired the shot heard round the world.

L’expression va être également utilisée pour désigner l’assassinat de l’archiduc d’Autriche-Hongrie François-Ferdinand le 28 juin 1914 à Sarajevo, déclenchant la Première Guerre Mondiale. Il va ensuite désigner le célèbre homerun de Thomson et dans une moindre mesure d’autres événements sportifs. L’expression va devenir une référence au sein de la culture populaire américaine.

Le titre du New York Daily News du 4 octobre 1951

Le match sera aussi appelé le « Miracle of Coogan’s Bluff », du nom du promontoire surplombant le stade du Polo Grounds, où les fans pouvaient s’amasser pour voir le match. Les journalistes sportifs utilisaient régulièrement le terme de « Coogan’s Bluff » pour désigner le Polo Grounds comme aujourd’hui on le fait avec le Dodger Stadium, appelé « Chavez Ravine ». En 2001, les « survivants » du match de 1951 se retrouvèrent sur le promontoire pour fêter le cinquantième anniversaire du match.

Le match et le homerun victorieux vont rentrer dans la légende, inspirant l’une des plus belles scènes du cinéma « sportif », le dernier homerun de Roy Hobbs dans le film de Barry Levinson, The Natural (Le Meilleur en vf.). Il sera classé second au classement des plus grands matchs du 20ème siècle par ESPN. Et il a sa place d’honneur au National Baseball Hall of Fame de Cooperstown où se trouvent la batte de Thomson et les chaussures qu’il portait lors du match.

Bobby Thomson et sa batte victorieuse. L’un des deux finira au Hall of Fame, pas l’autre.

En revanche, le miracle des Giants s’arrête là pour la saison 1951. Ils s’inclinent en six rencontres face aux Yankees lors des World Series. Thomson n’y frappe aucun homerun. Tout juste peut-il se consoler d’avoir joué le match 6, le dernier joué par Joe Di Maggio. Sa carrière va se poursuivre jusqu’en 1960 portant également les jerseys des Braves, des Cubs, des Red Sox et des Orioles. All-Star en 1952, il finit sa carrière en MLB avec une bonne moyenne de frappe de .270 et 264 homeruns. Sa dernière saison professionnelle se joue en 1963 où il officie pour les Yomiuri Giants de Tokyo.

Dans les années 90, il reçoit une lettre d’un ancien soldat stationné en Corée en 1951 :

"I was in a bunker in the front line with my buddy listening to the radio. It was contrary to orders, but he was a Giants fanatic. He never made it home and I promised him if I ever got back I’d write and tell you about the happiest moment of his life. It’s taken me this long to put my feelings into words. On behalf of my buddy, thanks Bobby."

Ralph Branca va lui continuer à jouer dans le Show jusqu’en 1956 pour les Dodgers, les Tigers et les Yankees. Il termine sa carrière avec un ERA de 3.79 et une fiche positive de 88 victoires pour 68 défaites. Une carrière raccourcie par une blessure au dos datant de 1952. Néanmoins, il reste un joueur des plus appréciés pour son soutien à Jackie Robinson d’une part mais aussi sa gestion du homerun de Thomson et les soupçons de tricherie qui l’entoure. Quand il intègre les Tigers en 1953, Ted Gray, son nouveau coéquipier à Détroit, lui apprend que les Giants ont volé les signes de ses deux derniers lancers à Thomson. Gray l’avait lui-même appris d’Earl Rapp, champ extérieur remplaçant des Giants en 1951.

Branca effondré après le match, ce qui ne l’empêchera pas de jouir d’une belle réputation tant au niveau de sa carrière que de son état d’esprit

Thomson, on l’a vu, nie mais après les révélations de 2001, il accorde avoir eu connaissance des signes effectués lors de ses trois premiers at-bats du match mais nullement sur le dernier et déterminant passage à la batte. Branca ne sera pas dupe mais ne diminuera jamais la valeur de ce moment épique de l’histoire de la MLB. Pour le bien commun du baseball. Si grand seigneur ce Branca qu’il deviendra même ami avec Thomson.

Laissons le mot de la fin au chroniqueur sportif Red Smith qui dans son résumé du match pour le New York Herald Tribune écrivit :

"Now it is done. Now the story ends. And there is no way to tell it. The art of fiction is dead. Reality has strangled invention. Only the utterly impossible, the inexpressibly fantastic, can ever be plausible again."

 

bHonus :

La vidéo du homerun légendaire !

The Shot Heard ‘Round The World

 Et pour ceux qui se demandent qui est Ralph Branca dans le film 42, c’est lui (derrière Jackie Robinson) :

 

 

4 commentaires à “The Shot Heard ‘Round the World : Miracle à Coogan’s Bluff”

  1. francovanslyke dit :

    pour compléter cet article, l’hommage à Bobby Thomson en 2010
    http://www.honus.fr/bye-bobby

  2. Fishiguchi dit :

    Encore un excellent article de ta part, Gaetan ! Bravo !

  3. Gaétan dit :

    Pour la photo, aucune idée.

    Sinon avec cette histoire, on continue d’enchaîner les histoires de tricheurs 😉 On va pas donner une belle image de notre sport !

  4. francovanslyke dit :

    Quelle histoire ! Bravo Gaetan et putain d’espions !! Le télescope ne fait pas partie des règles écrites et encore moins non écrites…
    La photo de Bobby Thomson est recolorisée ou c’est une photo en couleur de l’époque ?

Laisser un commentaire