Conseils de lecture baseball

 
Gaetan nous propose deux chroniques pour deux romans qui parlent baseball. Arrêtez d’attendre la saison MLB 2020, et emparez vous d’un livre, ils sont en Français, donc vous n’aurez vraiment pas d’excuse pour ne pas les découvrir !
 
FAITH UNE HISTOIRE AMERICAINE par Jean Lagacé
 
 
Les romans de baseball en langue française sont une denrée rare. Que dire des romans de baseball écrits en français ? Ils sont l’insolite dans la rareté. Et comme à chaque fois, cette production nous vient de l’autre côté de l’Atlantique, du Canada, et de sa belle province du Québec. « Faith, une histoire américaine » en fait partie et nous est offert en France par les éditions Le Lys Bleu.
 
Son auteur, Jean Lagacé, nous propose une histoire insolite. D’un côté, Manuel, jeune adolescent américain pratiquant le baseball, aux rêves prémonitoires et à la batte magique qui peut lui assurer, prétend-il, un homerun à chaque passage au bâton dans les Ligues Majeures. De l’autre, Joe Black, vieux briscard du baseball, gérant des Tampa Bay Rays qui, en cette saison 2008, dominent la Ligue Américaine. Dans une saison jusque là sans accroc, les histoires de Manuel et Joe Black se rencontrent, se téléscopent. Entre l’excitation des fans, la folie médiatique, un milliardaire en recherche de profits et un amour perdu, la vie du cartésien Joe Black va se trouver bouleverser par l’irruption de l’irrationnel.
 
« Faith, une histoire américaine » est un roman de baseball et un roman au-delà du baseball. S’il prend vie dans l’univers des Ligues Majeures au sein de l’équipe des Rays, il parle aussi de bien d’autres choses. Le romancier explore les sentiments humains qui bouillonnent en nous et les relations que nous entretenons avec la foi, les croyances d’autrui, l’irrationnel dans une société de l’information qui conjugue son matérialisme et sa recherche du profit avec un désir de croire qu’il y a plus que cela. Et quel meilleur pays que les Etats-Unis et quel meilleur sport que le baseball, pays et sport repus de paradoxes, pour explorer cette dualité ?
 
Le National Pastime a toujours conjugué dans son histoire une mythologie confinant au surnaturel, telles les malédictions des Cubs ou du Bambino, et un développement économique accès sur le profit à partir des années 1860. Aujourd’hui encore, la MLB garde un charme intemporel bien qu’elle soit un mastodonte économique hypercadenacé. Jean Lagacé nous fait toucher du doigt cette double réalité.
 
Ce roman se lit comme on regarde un film hollywoodien, mêlant comédie et tragédie, sans se perdre dans l’un ou l’autre pour garder un certain équilibre. C’est une lecture pop-corn avec des chapitres qui se succèdent à un rythme élevé pour passer d’une scène à l’autre, virevoltant entre l’histoire iréelle de Manuel et l’univers en croissante folie de Joe Black. Et comme tout bon film hollywoodien, un opposant au héros, capable de briser le happy end attendu, flotte dans le récit. Ici, il s’agit d’un génial lanceur de relève surnommé Voodoo, imbattable, croisement de Mariano Rivera et Goro Shigeno puissance 10.
 
Toute juste, peut-on reprocher à l’auteur de s’appesantir sur les émotions de Joe Black, vis à vis d’un amour perdu, ce qui alourdit parfois certains passages. Le passionné de baseball que je suis aurait aimé une plus grande intrusion du roman dans l’univers du baseball, bien qu’il soit déjà fort présent, pour suivre les coulisses de l’équipe. Surtout que l’histoire prend place au sein d’une saison incroyable des Rays, qui étaient parvenus en World Series face aux Phillies. Pour celui qui connaît le résultat de cette saison 2008, la lecture ajoute une attente : l’auteur va-t-il se conformer à l’Histoire ou la réinventer ?
 
Pour apprécier le roman, il faut donc accepter les règles de l’auteur et rentrer dans une autre dimension, où l’exagération est la norme. Comme quand on rentre dans une salle de cinéma. Comme quand on apprécie un film de baseball tels que les Indians ou Rookie of the Year, qui font du baseball l’espace vraisemblable de l’invraisemblable. Ainsi, vous profiterez d’une lecture crescendo jusqu’à l’étonnante fin douce-amère. Faith n’est pas un roman de la stature de Shoeless Joe ou de The Natural mais c’est une bonne lecture. Un bon roman de baseball.
 
 
 

LE GRAND ROMAN AMERICAIN de PHILIP ROTH

Une satire. Parfois même une farce. Voilà comment définir le roman de Philip Roth consacré au baseball. Si l’auteur américain est connu pour son appétence des histoires mêlant fiction et réalité, tout en ironie et en perspicacité, "Le Grand Roman Américain" (1973) sublime ou exagère, selon le point de vue de chacun, le style du romancier. Il faut dire que ce roman est une ode à la folie, à l’humour noir et au grotesque, pour celles et ceux qui savent apprécier les récits outranciers afin de mieux explorer, voir dénoncer, les travers de l’Histoire et des individus.
 
1943. La Ligue Patriote, troisième ligue du baseball majeur (quoi ? Vous ne la connaissiez pas?) déplore le départ de ses joueurs à la guerre. A l’instar des équipes des National et American Leagues, les équipes de la Patriote doivent recruter de nouveaux joueurs. Un coup dur. Pas le dernier. L’une des équipes de la ligue, les Mundy de Ruppert vendent leur terrain à l’armée et voilà que l’équipe doit jouer tous ses matchs à l’extérieur. Une saison entière en tournée avec une équipe composée de lanceurs quinquagénaires, d’un champ extérieur manchot, d’un receveur unijambiste, d’un deuxième base de 14 ans, d’un troisième base narcoleptique ou encore d’un première base alcoolique élevé par un père ancien Major Leaguer dans la jungle d’Amérique Centrale. L’ensemble de l’équipe est à l’avenant.
 
Nous voilà embarqués dans une saison galère avec des galériens du baseball. On y parle de joueurs de petite taille, d’un bordel où les adultes sont traités en bébés, de complot communiste, d’Ernest Hemingway, de Moby Dick, d’un génie adolescent juif qui veut révolutionner le baseball avec des céréales Weathies dopées et des statistiques avancées, de matchs de baseball dans la jungle africaine et de bien d’autres choses. Le roman reprend la plupart des thèmes préférés de Philip Roth comme la littérature occidentale, les péripéties de l’Histoire, la satire politique et sociale, l’héritage familial, notamment chez les juifs américains, la mort et les corps que le temps et les aléas de la vie détruisent.
 
Le baseball y est omniprésent. En 1943, c’est encore la première religion américaine, le symbole de la nation. Les héros du récit, particulièrement les Mundy, ont des noms de divinités. Et les noms des légendes évoquées, comme Babe Ruth et Ty Cobb, représentent encore aujourd’hui les dieux de la religion Baseball. La fiction se nourrit également de l’existant. L’un des propriétaires de la ligue Patriote, le fantasque Frank Mazuma, est directement inspiré de Bill Veeck Jr. Quand Mazuma engage une personne de petite taille comme pinch-hitter, c’est une référence au nain Eddie Gaedel que Veeck engagea en 1951. Bud Parusha, l’outfielder manchot des Mundy, est lui inspiré de Pete Gray, premier manchot de la MLB, qu’il rejoint en 1945 avec les Browns de Saint Louis.
 
L’amoureux du baseball y trouvera son compte, surtout s’il connaît assez bien l’histoire du baseball pour la connecter à l’histoire du roman. Il devra néanmoins faire son chemin dans un récit dense, fait de situations absurdes, de digressions, d’intrigues qui se superposent et de personnages improbables. Pourtant, l’humour et l’ingéniosité du style Roth nous permettent d’embarquer facilement dans cette folle histoire et d’y décrypter les messages plus profonds que nous lance l’auteur. Le grotesque n’est pas seulement une succession de situations drôles afin d’amuser le lecteur, c’est aussi le révélateur des tensions et enjeux qui existaient dans la société américaine tant dans les années 1940 que les années 1970, quand fut écrit et publié ce roman.
 
Les grands romans de baseball en français sont rares. Dans la langue de Molière, "Le Grand Roman Américain" forme une sorte de triptyque, avec Le Meilleur de Bernard Malamud et Shoeless Joe de WP Kinsella, permettant d’explorer la nature même du baseball et, par conséquent, la nature même de la nation américaine.

 

 

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