Aux origines du All Star Game

Alors que le 86ème All Star Game de la MLB va se tenir à Cincinnati le 14 juillet prochain, Honus repart aux origines de cet événement rituel du Baseball Majeur. Et comme toujours, c’est un visionnaire qui en est à l’origine, le journaliste Arch Ward.Tout commence en 1933 à Chicago. Cette année-là, la ville des Cubs et des White Sox accueille l’Exposition Universelle, appelée également « Chicago World’s Fair » ou « A Century of Progress International Exposition », et dont la devise de l’édition est « Science finds, Industry applies, Man conforms » (la Science découvre, l’Industre applique, l’Homme suit). L’exposition fête également le centenaire de la ville. Le Maire de la ville, Ed Kelly, souhaite un événement sportif d’envergure pour donner encore plus d’éclat à cette manifestation et s’en entretient avec le Colonel Robert McCormick, propriétaire et éditeur du fameux Chicago Tribune. Tout naturellement, McCormick se retourne alors vers son journaliste sportif star, Arch Ward.

En effet, Archibald Burnette Ward s’est bâti une belle réputation dans le milieu sportif qui lui vaut le surnom de « Cecil B. DeMille du sport ». Né en 1896 dans l’Illinois, Ward est un fan des Chicago White Sox et souhaite devenir joueur professionnel de baseball. Mais trop lent et ayant une trop mauvaise vue pour y parvenir, il décide de devenir journaliste sportif. Bien lui en prend puisqu’il le sera tout sa vie et avec succès, avec un intermède de deux ans entre 1919 et 1921 où il occupe le poste de directeur des relations publiques de l’équipe de football américain de la célèbre université de Notre Dame. Il y côtoie le légendaire entraîneur Knute Rockne, coach qui donnera aux Fighting Irish, nom de l’équipe de foot US de Notre Dame, un Rose Bowl et 5 titres nationaux, avec un total de 105 victoires pour 12 défaites et 5 nuls, avant sa mort tragique dans un accident d’avion en 1931.

Ward arrive au Chicago Tribune en 1925 et récupère la direction des sports cinq ans plus tard, poste qu’il conservera durant 25 ans, jusqu’à sa mort en 1955. Très rapidement, il devient un nom respecté dans le milieu, tant pour ses talents en écriture que pour les liens qu’il noue avec les sports et les autres acteurs de ce milieu. C’est donc une évidence pour McCormick. Ward est le mieux placé pour trouver la bonne idée. Et la bonne idée vient très rapidement : un match réunissant les meilleurs joueurs de chaque ligue de la MLB, une opposition entre les National et American Leagues. Il faut dire que l’idée est plus que prometteuse quand on voit les joueurs évoluant à cette époque : Babe Ruth, Al Simmons, Lou Gehrig, Jimmie Foxx, Tony Lazzeri, Lefty Gomez, Charlie Gehringer, Lefty O’Doul, Carl Hubbell…

Néanmoins, la MLB a déjà connu des rencontres de prestige, des matchs d’exhibition avec les stars du Baseball Majeur. On peut penser au match caritatif pour subvenir aux besoins de la famille du lanceur Addie Joss des Cleveland Naps, deux mois après sa mort d’une méningite. Les Naps affrontèrent une sélection All-Stars de la Ligue Américaine qui comptait en son sein le grand Ty Cobb, Tris Speaker, Walter Johnson ou encore Eddie Collins. On peut remonter également au Spalding World Tour de 1888-1889 où les Chicago White Stockings affrontaient une sélection All Star des autres équipes des Big Leagues comme ce fut le cas le 8 mars 1889 à Paris. Sur le terrain, on pouvait admirer des légendes comme Ned Williamson et Cap Anson (futur Hall of Famer) des White Stocking mais aussi, au sein de la sélection All America John Ward et Ned Hanlon, deux futurs Hall of Famer.

Pour l’organisation de l’événement de 1993, elle doit se faire vitesse grand V car la saison a déjà commencé. Stratégiquement, Ward décide de ne pas aller rencontrer en premier le commissaire du baseball, le rugueux Juge Landis. Il va d’abords proposer son idée au président de la Ligue Américaine, Will Harridge. Ce dernier est rapidement convaincu mais soulève les potentielles questions que poseront les équipes comme les blessures par exemple. Sans consulter son patron McCormick, Ward déclare que le Tribune prendra en charge financièrement les problèmes qui se poseraient en cas de blessure ou de rain-out, quitte à y laisser son salaire. Ward met clairement sa carrière en jeu.

Arch Ward

Ward et Harridge obtiennent l’accord des propriétaires de la Ligue Américaine. Pour la Ligue Nationale, Bill Veeck Sr., président des Chicago Cubs, et père du célèbre et innovateur Bill Veeck (qui fit joueur une personne de petite taille, Eddie Gaedel, en MLB), arrive à convaincre le propriétaire du club, Philip K. Wrigley, arguant que cet événement apportera une reconnaissance nationale voir mondiale à Chicago et donc à ses clubs de baseball. Ward obtient le soutient du président de la Ligue National, John A. Heydler et de la plupart des clubs de cette ligue. Seul point de résistance, les Boston Braves. Ward les menace de ruiner leur réputation en les décrivant dans la presse comme la seule équipe à avoir empêché ce match de rêve. Ils capitulent. Le commissaire Landis approuve également le projet. Il faut dire que ce projet est une aubaine pour la MLB.

En effet, le Krack boursier de 1929, et la Grande Dépression qui s’en est suivie, n’ont pas épargné le baseball, loin de là. Le chômage passe de 3 à 25 %, les banques ferment (4000 pour la seule année 1933, les gens perdent tout, jusqu’à leur maison, ce qui crée les Hoovervilles, ces bidonvilles qu’on retrouve dans tous les grandes villes comme Chicago et qui doivent leur nom au président Herbert Hoover, accusé de ne rien faire contre la crise (les Démocrates le surnomment « Do Nothing »). Dans ces conditions, la consommation chute et le baseball devient un produit de luxe pour de nombreux citoyens américains. Roosevelt est élu le 4 mars 1933 mais son New Deal vient juste d’être lancé. Les effets positifs de sa politique, y compris sur le baseball, devront attendre.

Le Baseball Majeur a vu, de fait, baisser l’affluence dans les stades de 40 %, passant de 10 millions de spectateurs en 1930 à 6 millions en 1933. La moyenne annuelle des salaires passe elle de 7500 dollars en 1929 à 6000 dollars en 1933. Le commissaire Landis décide volontairement de baisser son salaire annuel de 65000 à 40000 dollars. Les temps sont dures et incertains encore. Et le projet de Ward ressemble à une oasis pour le Baseball Majeur, une occasion de développer l’attractivité nationale et internationale de la MLB et de remobiliser les fans de baseball.

Il est décidé de jouer ce « Dream Game » ou « Game of the Century » juste après l’Independance Day. La date retenue est le 6 juillet et le 7 juillet sera la journée de réserve en cas de rain-out. Le terrain se joue à pile ou face entre Comiskey Park, le terrain des White Sox, et Cubs Park, le futur Wrigley Field. C’est le premier qui l’emporte.

Reste à déterminer les équipes. Au départ, le Chicago Tribune souhaite que ses lecteurs élisent les joueurs mais les autres journaux du pays protestent. Le juge Landis décide alors que tous les journaux permettront à leurs lecteurs de voter et les résultats seront centralisés au Chicago Tribune. Les fans choisissent 18 joueurs dans chaque ligue. Pour éviter trop de parti pris chez les fans, il leur est demandé de choisir les joueurs en fonction des performances au cours de la saison 1933. Dans le même temps, les présidents des deux ligues ont un droit de veto pour annuler n’importe quel vote.

Al Simmons

Le vote dure jusqu’au 25 juin. 56 journaux sont impliqués et 8 millions de bulletin de vote imprimés. On estime à environ 500.000 bulletins retournés aux organisateurs. Les fans jouent le jeu en prenant en compte les performances de 1933 puisque des joueurs comme Al Simmons, champ extérieur des White Sox, ou Charlie Gehringer, seconde base des Tigers de Détroit, finissent devant la légende Babe Ruth, alors âgé de 38 ans. Al Simmons termine d’ailleurs en tête des votes avec 346 291 voix tandis que le leader en NL est Chuck Klein, le champ extérieur des Phillies de Philadelphie avec 342 283 votes.

Les fans devaient initialement choisir les managers mais Ward et les propriétaires des équipes préférèrent finalement s’en occuper. Leur choix fut excellent. En effet, ils choisissent deux des plus grands managers de l’époque et de l’histoire de la MLB encore aujourd’hui. Connie Mack, 71 ans, est choisi pour l’équipe de la Ligue Américaine tandis que John McGraw, 60 ans, se voit confier les rênes de l’équipe de la Ligue Nationale. Connie Mack est alors le manager des Philadelphia Athletics tandis que John McGraw vient de prendre sa retraite après avoir managé les New York Giants de 1902 à 1932. Deux pointures pour le match du siècle. Ce sont eux qui décideront du lineup partant pour leur équipe sur la base du vote des fans. Il faudra attendre 1947 pour que les fans élisent également le lineup partant.

Connie Mack est assisté du General Manager des Boston Red Sox, Eddie Collins et du coach de 3ème base des Yankees de New York Art Fletcher. Côté NL, John McGraw est entouré de Bill McKechnie, manager des Boston Braves, et de Max Carey, manager des Brooklyn Dodgers.

Jimmie Foxx et Connie Mack, l’un des rares managers à coacher en costume cravate

 

Au final, l’élection des fans et le choix des managers donnent le résultat suivant :

Les joueurs en rouge ne sont pas rentrés en jeu

Lineup Partant de la Ligue Américaine

1. Ben Chapman LF – New York Yankees

2. Charlie Gehringer 2B – Detroit Tigers HOF

3. Babe Ruth RF – New York Yankees HOF

4. Lou Gehrig 1B – New York Yankees HOF

5. Al Simmons CF – Chicago White Sox HOF

6. Jimmy Dykes 3B – Chicago White Sox

7. Joe Cronin SS – Washington Senators HOF

8. Rick Ferrell C – Boston Red Sox HOF

9. Lefty Gomez P – New York Yankees HOF

Joueurs de réserve

General Crowder P – Washington Senators

Wes Ferrell P – Cleveland Indians

Lefty Grove P – Philadelphie Athletics HOF

Oral Hildebrand P – Cleveland Indians

Bill Dickey C – New York Yankees HOF

Jimmy Foxx 1B – Philadelphia Athletics HOF

Tony Lazzeri 2B – New York Yankees HOF

Earl Averill OF – Cleveland Indians HOF

Sam West OF – Saint Louis Browns

Charlie Gehringer

 

Lineup Partant de la Ligue Nationale

1. Pepper Martin 3B – Saint Louis Cardinals

2. Frankie Frisch 2B – Saint Louis Cardinals HOF

3. Chuck Klein RF – Philadelphia Phillies HOF

4. Chick Hafey LF – Cincinnati Reds HOF

5. Bill Terry 1B – New York Giants HOF

6. Wally Berger CF – Boston Braves

7. Dick Bartell SS – Philadelphia Phillies

8. Jimmie Wilson C – Saint Louis Cardinals

9. Bill Hallahan P – Saint Louis Cardinals

Joueurs de réserve

Carl Hubbell P – New York Giants HOF

Hal Schumacher P – New York Giants

Lon Warneke P – Chicago Cubs

Gabby Hartnett C – Chicago Cubs HOF

Tony Cuccinello 2B – Brooklyn Dodgers

Pie Traynor 3B – Pittsburgh Pirates HOF

Woody English SS – Chicago Cubs

Lefty O’Doul OF – New York Giants (Japanese HOF)

Paul Waner OF – Pittsburgh Pirates HOF

Chick Hafey

 Au final, 20 des 36 joueurs sélectionnés entrèrent par la suite au Baseball National Hall of Fame (voir mention HOF sur les listes précédentes plus Left O’Doul intronisé au Japanese Baseball Hall of Fame) ainsi que cinq des six coachs (Connie Mack, John McGraw, Eddie Collins, Max Carey, Bill McKechnie) et deux des arbitres de la rencontre (Bill Klem, Bill McGowan). C’est dire le prestige de cette rencontre qui pouvait vraiment être qualifiée de « Dream Game ».

Arrive le 6 juillet. Le stade est plein. 49 200 fans, venant de 46 des 48 États américains selon Ward, sont présents pour assister à ce grand événement. Les billets sont rapidement partis. Les meilleures places furent vendues entre 1.10 et 1.65 dollars tandis que les moins chères étaient à 55 cents. Ces dernières furent vendues directement au stade et de nombreux fans passèrent la nuit devant Comiskey Park pour pouvoir être sûr d’en acheter. Il y eut beaucoup de déçus. Le succès est au rendez-vous, comme le soleil, et le match peut commencer.

L’arbitre de plaque est Bill Dinneen, assisté en 1ère base du père de l’arbitrage moderne Bill Klem (dont Honus vous a conté les aventures). Bill McGowan officie en 2ème base et Cy Rigler en 3ème. Par équité, chaque ligue est représentée par deux arbitres. Dinneen et McGowan officient en AL tandis que Klem et Rigler sont des arbitres de la NL.

Les joueurs de la Ligue Américaine ont revêtu leurs uniformes de club tandis que ceux de la Ligue Nationale ont un jersey spécial où est inscrit le nom de leur ligue. Le lanceur partant de la NL, le gaucher des Saint Louis Cardinals, « Wild » Bill Hallahan, fait face à un autre gaucher, le lanceur des Yankees de New York Lefty Gomez.

Lors de la 1ère manche, le lead-off de la NL, Pepper Martin, est le premier joueur retiré de l’histoire du All Star Game sur une frappe à l’arrêt court qui relaie à la 1ère base. Le 1er strikeout est au crédit d’Hallahan sur Babe Ruth en fin de 1ère manche. C’est Chick Hafey, de la NL, qui frappe le 1er coup sûr en 2ème manche. Mais ce sont les joueurs de la Ligue Américaine qui marquent les premiers grâce à Lefty Gomez qui frappe le premier coup sûr de l’AL, permettant à Jimmy Dykes de scorer le premier point dans un All Star Game, toujours en deuxième manche.

Dans la troisième manche, certainement vexé d’être le premier strikeout de l’histoire du All Star Game, le grand Babe Ruth décide d’être celui qui a également frappé le premier homerun, une longue balle au fond du champ droit. The Babe, la légende, n’est pas le plus grand joueur pour rien. Gehringer étant sur base, cela fait 3-0 pour la Ligue Américaine.

Lefty Gomez

Une autre légende se fait remarquer. Lou Gehrig commet la 1ère erreur en All Star Game, la seule du match, heureusement sans conséquence, en 5ème manche. La NL réagit en 6ème en inscrivant deux points dont un homerun de Frankie Frish. Earl Averill frappe également en 6ème un simple qui permet à Joe Cronin de scorer un 4ème point pour l’AL. Ce sera tout pour l’évolution du score, les lanceurs Lefty Grove (AL) et Carl Hubbell (AL) muselant les attaques dans les manches suivantes.

La Ligue Américaine remporte le premier All Star Game, 4 à 2. La presse remporte l’emballement des fans dans les tribunes et à la fin du match. Malgré quelques réticences ici et là, la plupart des décideurs du baseball, en premier lieu le commissaire Landis, sont également enthousiasmés par le succès de l’événement et décideront par la suite de faire de ce « Dream Game » un événement annuel joué dans une ville différente chaque saison.

L’histoire du All Star Game est bel et bien lancé. En 1934, il se jouera dans le mythique, et disparu depuis, Polo Grounds des New York Giants. Et il continuera à grandir pour devenir l’événement phare de la mi-saison, appelé MidSeason Classic ou MidSummer Classic. Il connaîtra bien des évolutions comme le fait d’avoir deux parties jouées la même année dans un stade de NL et d’AL entre 1959 et 1962, le fait d’attribuer le terrain du premier match des World Series depuis 2003, l’ajout de matchs (Futures Games, Celebrities Softball Game) et d’un Homerun Derby.

Le principe d’un All Star Game va également s’étendre à l’ensemble du baseball mondial et dans bien d’autres sports, américains ou non. Aujourd’hui, le All Star Game fait partie de la culture populaire et sportive du monde du baseball mais aussi du basket où le All Star Game NBA est l’un des plus grands moments de la saison après les finales. Même en France, le basket et le handball s’y sont mis.

Arch Ward continua, en parallèle de sa carrière de journaliste, de créer des événements sportifs et des compétitions. Il avait déjà créé en 1928 les Golden Gloves, compétitions annuels de boxe amateur et qui continuent encore de nos jours. Il créa également une ligue concurrente à la NFL, après avoir refusé deux fois le job de commissaire de la ligue, la All American Football Conference, qui dura seulement de 1946 à 1949. L’année suivante du premier All Star Game de la MLB, il créa le Chicago Charities College All Star qui, de 1934 à 1976, opposa le champion NFL à une équipe All Star des meilleurs joueurs universitaires de la saison précédente.

Ward mourut le 9 juillet 1955, à l’âge de 58 ans, d’une crise cardiaque. Ses funérailles eurent lieu le 12 juillet, le jour où se tenait le All Star Game de la MLB qu’il avait créé 22 ans auparavant. Pour pouvoir assister à son enterrement, les dirigeants du baseball majeur décalèrent l’heure du match qui se tenait à Milwaukee. Sa mémoire fut par deux fois honorée lors du All Star Game. Et par deux fois, elle fut insultée. En 1962, le MVP du All Star Game recevait pour la première fois le Arch Ward Memorial Trophy mais le nom du trophée changea en 1970 pour devenir le Commissioner’s Trophy. En 1985, le trophée MVP devint le Arch Ward Award mais une nouvelle fois, en 2002, il changea de nom, prenant celui de The Ted Williams Most Valuable Player Award, pour honorer la légende de Boston, décédé quelques jours avant le All Star Game. Une légende était honorée tandis qu’une autre retombait dans l’oubli de sa propre création.

Carl Hubbell et Lefty Grove

Babe Ruth, Lou Gehrig et Al Simmons

Source :

Arch Ward and the first MLB All-Star Game, 1933, by Eric Aron (site Through The Fence)

Baseball Almanac

Baseball Reference

Wikipedia  

BHonus :

 Vidéo du premier All Star Game. On y voit notamment le premier HR de l’histoire de la MidSummer Classic, claqué par The Babe.

 

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