La Révolution Curt Flood

Honus revient sur un sujet à la fois politique et historique à travers la lutte d’un joueur de baseball, Curt Flood, contre la MLB et le système de la clause de réserve. Un combat qui lui aura coûté en grande partie sa carrière de baseballer. Honus vous présente un acte de courage d’une autre époque, découvert en grande partie grâce au reportage de la chaine HBO intitulé "The curious case of Curt Flood"….

Curt Flood est un joueur noir né à Houston en 1938. Il affiche de grands talents au baseball et sera signé par les Reds de Cincinnati en 1956 (rebaptisés les RedLegs de Cincinnati en 1953 en raison de l’anti communisme de l’époque qui voyait d’un trés mauvais oeil toute apologie du rouge !). Il est rapidement tradé vers Saint louis en 1957 où ses talents défensifs au poste de champ centre vont l’imposer comme un joueur titulaire des Cardinals, et ce pendant prés de 12 ans.  Sous le coaching de Johnny Keane en 1961, il explose et va réussir à frapper à plus de .300. Il devient saison après saison un joueur de plus en plus complet, étant impérial en défense, frappant pour plus de .300, scorant de nombreux points. En 1963, il frappe plus de 200 hits en saison et va devenir un joueur all star durant 7 années.

Curt Flood est reconnu par ses pairs comme un joueur au jugement défensif encore plus rapide que Willie Mays, c’est dire le talent hors pair de Flood…. En 1966, il ne commet aucune erreur lors de toute la saison, et détient toujours le record de 226 matchs consécutifs sans erreurs au poste de champ centre. En 1967, il signe une moyenne de .335 en saison, remportera au total 7 Gold Gloves et devient l’un des grands joueurs des Cardinals et une star de Saint louis qui gagne pas moins de 3 World series à cette époque.

Sports Illustrated ne se trompe pas

Mais en 1969, Curt Flood qui vient de jouer 12 saisons aux Cardinals de Saint Louis, reçoit un courrier qui lui apprend qu’il vient d’être tradé à Philadelphie dans le cadre d’un vaste échange, qui implique, dans l’autre sens, la venue du slugger Dick Allen aux Cardinals.

Curt Flood est profondément choqué et et ne veut pas aller jouer pour l’équipe moribonde des Phillies, bien connue de plus pour le racisme de ses fans. Curt Flood veut continuer à jouer à Saint louis, où il a construit sa vie et sa carrière. La direction de Saint Louis le rencontre alors et lui explique qu’il n’a pas le choix, et qu’il sera sanctionné s’il n’obéit pas.

Curt Flood apprend alors à ses dépens le poids des contrats signés et la pratique de la clause de réserve des contrats professionnels. Pour rappel, les États Unis ont signé une loi anti trust en 1890 (Sherman Act), qui visait avant tout à éviter les monopoles notamment dans l’industrie du pétrole et des chemins de fers, et ce afin de promouvoir le libéralisme et éviter les dérives des situations monopolistiques. Or le baseball professionnel de la fin du 19e siècle est loin d’être un sport lucratif et le secteur du sport réussit à déroger sans difficulté à cette loi anti monopole. Les contrats des joueurs professionnels sont ainsi dotés d’une clause de réserve, considérant que le joueur demeure la propriété de leur club, le club décidant de renouveler ou pas la confiance en son joueur de saison en saison.  Cette clause ne concerne pas que les joueurs stars, mais bien tous les joueurs professionnels. Finalement, les joueurs ne sont plus libres une fois qu’ils ont signé dans un club. Et cette clause a pour effet, bien entendu, de limiter la liberté des joueurs. En effet,  un joueur peut trés bien ne jamais avoir sa chance s’il ne plait pas à son coach ou son manager. Et la seule voie qu’il reste au joueur est de cesser de devenir joueur professionnel en quittant le club et finalement le sport professionnel.

L’ensemble des dirigeants du baseball professionnel tenait ainsi d’une main de fer les destinées des joueurs contraints au deal suivant : "soit tu es d’accord, soit tu pars" (take it or leave it). Dans les faits, le joueur est ainsi attaché à vie à un club et ne peut le quitter que si le club a décidé de s’en débarrasser ou de le vendre.

Flood, un homme déterminé

Curt Flood va refuser ce trade mais également tout le système qui le soutient. Nous sommes en 1969, Curt Flood est un joueur noir rempli d’admiration pour Jackie Robinson (il porte d’ailleurs le numéro 21, se considérant la moitié de la valeur d’un Jackie Robinson qui porte le numéro 42 !) et il voit dans ce système de la clause de réserve une clause s’apparentant à de l’esclavage moderne.

Il adresse alors un courrier au commissaire du baseball professionnel Bowie Kuhn dans lequel il écrit :

"Après 12 années en Major League, je ne me sens pas être la propriété de quiconque qui pourrait me vendre contre ma volonté. Je considère qu’un tel système viole mes droits essentiels de citoyen et demeure contraire aux lois des États Unis et de nombreux autres États. Je souhaite jouer au baseball en 1970 et j’ai reçu une offre du club de Philadelphie, mais je considère avoir le droit de voir les offres des autres clubs avant de me décider. A ce titre, je rappelle que je suis libre de recevoir toutes propositions de clubs pour la saison 1970"

Le courrier de Curt Flood

Bref, Curt Flood revendique sa liberté de joueur professionnel et d’être délivré de cette clause qui ferait de lui une simple propriété de son club pour aspirer à être un joueur qui choisit le club dans lequel il sera tradé.  Flood souhaite être libre de ses choix et devenir un "free agent".

Le choc est frontal entre liberté individuelle et monopole sportif. Les motivations de Curt Flood ne sont pas des plus simples à analyser au vu du documentaire HBO (Est ce par orgueil ? Par sympathie pour la cause noire ? Par volonté de défendre les droits des joueurs ou peut être par simple égoïsme ? )  mais Curt Flood en tout cas est clair sur sa décision : il refuse le système qu’il considère comme un vestige de l’esclavagisme :

"Dans l’histoire de l’homme, il n’y a aucune autre profession excepté l’esclavagisme où un homme est lié à un propriétaire pour le reste de sa vie.("In the history of man, there is no other profession except slavery where one man is tied to one owner for the rest of his life,") "Dans l’esclavagisme, on vous envoie d’une plantation à une autre. En baseball, ils font la même chose, ils vous envoient d’une franchise à une autre, selon les désirs de 24 propriétaires millionnaires (""In slavery they ship you from one plantation to the other. In baseball they do the same thing – they ship you from one franchise to the other depending upon the whims of 24 millionaires.")

Le ton est donné.

Quand les journalistes lui répliquent qu’à la différence d’un esclave, il est payé pour jouer au baseball 90 000 dollars,  il répond "Oui effectivement,  mais un esclave bien payé n’en demeure pas moins un esclave" ("A well paid slave is nonetheless still a slave.")

Curt Flood est un homme de principe.

Sans surprise, Bowie Kuhn refuse le bénéfice de la free agency au joueur rebelle, arguant du respect des clauses contractuelles signées. Flood prend alors sa retraite et décide de jouer le tout pour le tout et de saisir la justice.

Marvin Miller, le représentant de la Major League Players Association, tente alors de le dissuader, et l’avertit que quel soit l’issue du procès, ça en sera fini de lui dans le baseball professionnel. Personne ne voudra de lui après une telle initiative.

Curt Flood et Marvin Miller

Curt Flood se moque de l’avertissement et décide de contester en 1970 devant la Cour suprême la légalité de la décision de Bowie Kuhn : il demande la condamnation de la MLB à le dédommager d’un million de dollars en raison de cette clause illégale qui serait contraire à la loi anti monopole.

Curt Flood se heurte alors à de nombreux murs. Le combat judiciaire de Curt Flood n’est pas du tout populaire. Si les représentants des joueurs approuvent sa démarche, ils considèrent cependant qu’il va trop loin en contestant devant la cour suprême cette clause.

Seuls Bill Veeck, Jackie Robinson, Hank Greenberg acceptent de témoigner en sa faveur lors du procès. Ces trois personnes rendent publiques leurs amertumes contre un système d’un autre âge.

Bill Veeck le businessman critique le monopole des clubs et cette clause de réserve qui l’aura empêché de bâtir une équipe compétitive, où qu’il aille, aux États unis.

Jackie Robinson pointe les moyens utilisés par les clubs, dont cette clause de réserve, pour briser les carrières et les aspirations d’indépendance des sportifs noirs.

Hank Greenberg explique qu’il aura été tradé en fin de carrière par les Tigers de Detroit contre son gré dans un club pour lequel il ne voulait pas jouer de sa vie, les Pirates de Pittsburgh….

Mais ces paroles ne trouvent aucun écho dans la population. Les fans de baseball considèrent pour le moins déplacé le "combat syndical" d’un joueur qui gagne plus de 1000 fois le salaire moyen d’un travailleur américain, et taxent le combat de Flood de délire de Diva.

Curt Flood reçoit des menaces de mort quotidiennement et se heurte à l’incompréhension de l’establishement, qui l’accuse d’être irresponsable.

Flood devient l’ennemi public !

Flood est grillé de toutes parts et ne jouera pas de la saison 1970. Il signe dans l’équipe de la loose de ce début des années 70, les Washington Senators pour la saison 1971, mais ne jouera qu’une dizaine de matchs. Hué et n’ayant pas la confiance de son coach Ted Williams, Flood comprend que le "show", c’est fini pour lui.

Ted Williams coach des Washington Senators et des ex stars en exil Dennis McLeane et Curt Flood

Les propriétaires des clubs de MLB demeurent cependant inquiets en ces temps de lutte de droits civiques de la décision de la Cour suprême. Ils sentent que l’accord négocié il y a plus d’un siècle ne correspond plus vraiment à une époque qui voit l’émergence d’un sport professionnel médiatisé.

Le 19 juin 1972, la Cour suprême rend son verdict dans le dossier "Flood c/ Kuhn" et rejette les prétentions de Curt Flood, à un vote disputé de 5 juges "pour" et 3 "contre". Au vu des précédents et notamment d’un précédent judiciaire de 1922 dans le dossier "Féderal league contre National league", la Cour suprême considère que la loi anti trust ne s’applique pas au baseball professionnel. Le poids du précédent dans la système judiciaire américain condamne Curt Flood à l’échec, mais certains des juges considèrent qu’il n’y a plus de raisons actuelles de considérer la dérogation à la loi antitrust par le sport professionnel comme légitime.

C’est la fin du chemin de croix pour Curt Flood, qui est désormais à la fois un loser et un"black listé" de la MLB et qui disparait du baseball professionnel pour devenir… un trés bon peintre.

Néanmoins, le procès a secoué en profondeur les esprits des dirigeants et a sensibilisé les joueurs à une liberté de choix qu’ils tendent à revendiquer. Afin d’empêcher tout nouveau scandale, les dirigeants de la MLB votent dés la fin de l’année 1970 la "10/5 rule", qualifiée quelque fois de ‘Curt Flood Rule’, qui dispose qu’une fois que le joueur a joué 10 ans en MLB, et ses 5 dernières saisons dans une même équipe, il peut alors opposer son veto à un trade qu’il ne souhaiterait pas.

Le combat de Flood n’était pas des plus illégitimes, semblerait t’il….

En 1975, d’autres joueurs de baseball, Andy Messersmith et Dave Mc Nally, contesteront à nouveau la clause de réserve. Mais cette fois-ci au lieu d’un procès, ils choisiront la voie de l’arbitrage. En décembre 1975, ils réussiront par l’arbitrage là où Curt Flood a échoué. La clause de réserve est désormais limitée à une année supplémentaire (et plus implicitement à la carrière du joueur comme auparavant). Les joueurs gagnent le statut de free agent à la fin de leur contrat et peuvent négocier un nouveau contrat avec un autre club professionnel.

Le joueur de baseball devient libre à la fin de son contrat.

Une évidence aujourd’hui qui a nécessité certains combats.

Lorsque aujourd’hui des joueurs multimilliardaires, comme A-Rod ou Robinson Cano, font monter les enchères entre les clubs, ils peuvent remercier Curt Flood d »avoir sacrifié sa carrière pour ce qui s’apparente aujourd’hui à une simple question de principe…..

BHONUS :

 Un extrait de Baseball de Ken Burns sur Curt Flood  

 

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