Jeu de Dames, Chapitre IV : Les pionnières après 1945.

Dernière partie de notre aventure féminine dans le baseball US. Avec les aventurières de l’après-guerre, celles qui tentèrent de lutter contre le modèle archaïque de la femme au foyer de l’american way of life, celles qui devinrent un exemple parmi d’autres de la victime du sexisme et du machisme au moment où les femmes lutter une nouvelle fois pour leurs droits, des femmes qui, une fois encore, s’affranchirent des carcans de la morale et des traditions pour réaliser l’exploit.

La première femme à signer un contrat pro dans le baseball moderne (post 1945) et, qui plus est, dans une Minor League, fut Eleanor Engle en 1952. Cela dit, l’histoire ne sera pas un conte de fées pour Mrs Engle. Loin de là. Signé par les AA Harrisburg Senators, Engle ne jouera aucun match avec eux. Eleanor Engle, 24 ans, sténographe de profession et joueuse de softballeuse se voit engagé par les Senators. Mais le manager Buck Etchison n’est pas mis au courant de ce recrutement et s’y oppose. Les joueurs eux-même ne veulent pas d’une femme dans l’équipe. Tout comme le commissaire de Minor League George Trautman qui interdit à Eleanor Engle de jouer, annule le contrat et menace d’amendes les équipes qui engageront une femme comme joueuse… alors qu’aucune règle à ce moment-là n’interdit les femmes de jouer dans les ligues affiliées. Il déclarera que le contrat d’Engle est "a travesty of baseball".

L’affaire, devenue une polémique nationale, force George Trautman à sortir rapidement une règle pour interdire la signature de contrats avec des joueuses, soutenu par le commissaire de la MLB Ford Frick. La presse relaie les avis de chacun, des avis en défaveur d’Engle. Une photo est publiée où l’on voit les joueurs masculins d’un côté du dugout et Eleanor Engle, seule, de l’autre côté. Elle n’obtient même pas le soutien du propriétaire le plus extravangant de l’histoire de la MLB, Bill Veeck. L’homme, propriétaire des Browns de Saint Louis à l’époque, qui fit jouer un nain en match officiel de Major League déclarera « c’est allé trop loin! » ou encore qu’il n’avait jamais engagé de femme car « il n’en avait jamais vu d’assez bonne ». Véritablement déçu, Eleanor Engle tentera sa chance au sein de la All American Girls Professional Baseball League avec l’équipe des Fort Wayne Daisies, coaché cette année-là par l’ancien Major Leaguer Jimmie Foxx.

 

Le cas Engle illustre les difficultés à venir pour les femmes, joueuses ou arbitres, dans le baseball. Les femmes au softball (ou mieux à la cuisine) et les hommes au baseball. Mais la gente féminine n’a pas dit son dernier mot. Durant les années 70, les mouvements de libération des femmes sont très actifs. Contraception, sexualité, harcèlement sexuel, autant de thématiques qui ont, de plus en plus, d’échos judiciaires. L’une de ses batailles judiciaires sera mené par Bernice Gera, première femme a signé un contrat professionnel d’arbitre au début des années 70. Une nuit, l’idée lui vient de devenir arbitre professionnel de baseball et rejoint la Florida Baseball School en 1967. Elle excelle dans sa formation. Malheureusement, elle est refusé au poste d’arbitre par la National Association of Baseball Leagues sous prétexte qu’elle ne peut physiquement assumer ce poste. Elle engage alors des poursuites judiciaires contre la NABL et gagne son procès en janvier 1972.

Le 24 juin de la même année, elle arbitre son premier match, sous le regard de la nation, en Minor League Simple A, un double programme entre les Geneva Rangers et les Auburn Phillies. Elle commet une erreur d’arbitrage durant le match et expulse même le manager d’Auburn. Cependant, entre les deux matchs, elle décide de démissionner voyant que les autres arbitres, masculins, refusent de travailler avec elle. Le machisme aura eu raison de sa persévérance et elle intégrera les équipes de communication et de promotion des New York Mets de 1974 à 1979.

 

Arrive la fameuse année 1988. Fameuse car elle sera le théâtre de deux confrontations entre des femmes et le baseball machiste. Première confrontation : Pam Postema vs MLB. Pamela dit « Pam » Postema fut arbitre en Minor League de 1977 à 1988. Elle arbitra également des matchs de Major League lors des Spring Training de 1987 et 1988 ainsi que le match du Hall of Fame de 1987 entre les New York Yankees et les Atlanta Braves. En 1988, un incident se produisit entre Postema et le lanceur des Houston Astros Bob Knepper qui, après un match d’exhibition arbitré par Postema, déclara que les femmes ne pouvaient être arbitres en MLB ou présidente des Etats-Unis. La presse relaya les propos du joueur le lendemain, ce qui créa une polémique, la National Organization for Women appelant au boycott de tous les matchs des Astros.

De plus, cette année-là, Postema ne fut pas retenue pour arbitrer durant la saison régulière de la MLB après avoir pensé faire l’un des deux matchs d’ouverture de la National League en 1988. Mais deux arbitres masculins furent choisi à sa place. Elle attendit une année de plus mais fut libérée après la saison 1989 et recasée comme chef d’équipes des arbitres de Minor League AAA. Comprenant que la MLB ne voulait pas d’une femme comme arbitre dans le plus haut niveau du baseball américain, elle engagea des poursuites judiciaires en 1991. Poursuites se finirent par un arrangement entre les deux parties et Postema ne fut plus jamais appelé à officier dans un match du baseball affilié à la MLB. Elle partit travailler dans chez Honda et écrivit un livre dont le titre était « You’ve Got to Have Balls to make It in this League ». Explicite non ? Il faudra attendre le 29 mars 2007 pour voir une femme, Ria Cortesio, arbitrer de nouveau un match de Spring Training de Major League. Cette même année, le 30 octobre, elle sera « libérée » de ses engagements en Minor League après s’être vue refuser durant plusieurs années sa nomination comme arbitre de MLB.

 

L’autre confrontation de cette année 1988 vint d’une jeune fille répondant au doux nom francophone de Julie Croteau. jeune américaine au demeurant, qui fut au centre d’une polémique nationale quand elle fut refusé par une équipe universitaire masculine. Croteau passa les essais pour intégrer cette équipe, les Yellow Jackets de Manassas en Virginie. Elle ne fut pas retenue par le coach Rick Fair qui lui indiqua de retourner jouer au softball, sport qu’elle n’avait jamais pratiqué. Convaincus de la discrimination sexuelle, les parents de Julie Croteau l’encouragèrent à déposer plainte. Ce qu’elle fit mais elle perdit le procès. Il était difficile de prouver que les essais fussent déloyaux pour elle. De plus, le juge indiqua que jouer au baseball n’était pas un droit constitutionnel. Ce n’était pas la première fois que Croteau se frottait au baseball machiste.

Déjà, dans sa précédente équipe scolaire, elle avait ciré le banc durant la saison alors qu’elle était meilleur que les garçons jouant à son poste, la première base, et qu’elle jouait depuis toute petite au baseball et ce avec réussite et éloges de ces premiers coachs. Après cette affaire, elle fut invitée à rejoindre l’équipe des Fredricksburg Giants, une équipe semi-pro masculine de la Virginia Baseball League. Elle y joua durant 5 années pour un batting average de .261 (dont un .301 en 1993, sa meilleure année). Elle joua également pour le St. Mary’s College pendant trois ans avant de partir, victime une nouvelles fois de pratiques sexistes. Pour son premier match avec cette équipe, en 1989, contre les Spring Garden College Bobcats, elle devint la première femme à jouer un match de NCAA. Après sa carrière de joueuse, elle devint consultante pour la chaîne Liberty Sports en 1995, travailla pour la MLB et fut également assistante coach en lycée et en université entre 1995 et 2000.

 

Enfin, la dernière pionnière d’exception, avant l’apparition d’Eri Yoshida, se nomme Ila Borders. Ila Borders, qui jouait déjà à 15 ans dans une équipe semi-pro masculine, est la première femme a lancé et gagné un match complet en baseball universitaire ainsi que la première femme a gagné un championnat NCAA de baseball masculin avec le Southern California College en 1994. Sa première victoire comme lanceuse donc se déroule le 15 février 1994 face aux Claremont Mudd pour un succès 12 à 1. Borders tiendra son shutout jusqu’à la 8ème reprise, retirant les 10 premiers batteurs, avant de concéder un home-run en 8ème. Quand son manager Charlie Phillips quitte son poste, le temps de jeu de Borders se réduit fortement et elle finit par être transférée dans une autre université. En 1997, elle signe chez les St. Paul Saints en ligue pro indépendante, devenant une des rares femmes à intégrer une équipe pro masculine avant d’être échanger aux Duluth Dukes avec qui elle jouera de 1997 à 1999. Avec eux, elle deviendra la première femme à devenir lanceuse partante dans un match pro masculin le 7 juillet 1998 puis la première femme à gagner un match comme lanceuse partante le 24 juillet de la même année. Elle finit sa carrière pro en 2000.

 

Voilà qui termine cette série d’articles. Les pionnières évoquées ici ne font pas parties d’une liste exhaustive. D’autres noms viendront un jour enrichir les pages d’Honus d’Alta Weiss (baseballeuse semi-pro devenue physicienne) à Sal Coats (première femme a joué dans les MSBL World Series) en passant par la nouvelle joueuse professionnelle Tiffany Brooks ou Carey Schueler, première femme draftée par une franchise MLB, les Chicago White Sox, en 1993. L’histoire des femmes dans le baseball, qu’il soit masculin ou féminin, est riche, faisant l’objet de recherches qui sans cesse l’enrichissent. Elle nous montre cependant la condition réservée aux femmes dans la société américaine (mais pas seulement), de l’âpreté des combats qu’elles doivent mener, même de nos jours, pour être reconnues les égales des hommes. Et ce, même si elles prouvent leurs valeurs et leurs compétences sur et en dehors des terrains. On peut se poser la question : Si Eri Yoshida venait à signer avec un club français en Elite, changerait-on les règlements pour la permettre de jouer, elle qui a joué en pro au Japon et aux Etats-Unis avec des hommes ? Edtih Houghton, Ila Borders, Eri Yoshida, Lizzie Murphy, autant d’exemples qui montre que le baseball n’est pas un sport d’hommes. Que le softball n’est pas le seul horizon des femmes sortant de l’adolescence ayant joué au baseball auparavant. Elles ont prouvé qu’en baseball, ce qui compte avant tout, ce n’est ni le sexe, ni la couleur de peau, ni l’origine ethnique ou sociale d’une personne mais sa passion pour ce sport !

 

 

 

Pour finir, un documentaire (en anglais) sur le baseball féminin :

www.nfb.ca/film/baseball_girls/

 

 

5 commentaires à “Jeu de Dames, Chapitre IV : Les pionnières après 1945.”

  1. Gaétan dit :

    Oui. C’est d’ailleurs souvent vrai en softball mixte !

  2. francovanslyke dit :

    surtout quand on constate que certaines filles sont largement meilleures que leur comparses masculins…

  3. Gaétan dit :

    Oui ! Ce qui est triste, c’est que certaines discriminations continuent encore, notamment le fait d’empêcher les femmes d’accéder à l’arbitrage en Major League. Peut être que ce sera à jour d’un prochain Civil Rights Game !!??
    Mais le fait d’empêcher la mixité dans le baseball français dès la catégorie Junior mérite une réflexion également…

  4. Florian dit :

    Merci, Geatan pour ces articles. D’ailleurs ces articles montrent bien les nombreuses « contradictions » de la société américaine.

  5. francovanslyke dit :

    Ne serait ce pas notre ami Canseco aux Duluth Dukes ? il devait se dire que cette joueuse est un peu maigroulette, et manque un peu de puissance. Si elle prenait quelque stéroides, on pourrait en faire quelque chose…

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