Christmas Day Game 1862

Aujourd’hui, nous fêtons Noël, la naissance du petit Jésus, la venue du Père Noël et surtout c’est le grand jour des enfants et du déballage de cadeaux. Mais en 1862, pour les soldats des armées de l’Union et des États Confédérés, c’était surtout un jour de paix absolu, un jour sans mort au combat. Plus que cela, ce fut un jour de baseball !

25 décembre 1862. Voilà presque deux ans que l’armée des États Confédérés a bombardé Fort Sumter à Charleston le 12 avril 1861, déclenchant la Guerre de Sécession. Depuis, le sang américain n’a cessé de couler sur les champs de bataille. En juin 1862, Abraham Lincoln a commencé à rédiger sa proclamation d’émancipation des esclaves qui sera effective au 1er janvier 1863. Il y a un peu plus de deux mois, le 18 octobre, la première superstar du baseball, Jim Creighton, décédait suite à une blessure qu’il s’était infligé en match. Et c’est alors que la jeune nation se trouvait au bord du gouffre qu’au sein du chaos allait croître l’un de ses plus admirables et fondateurs symboles, son National Pastime, le baseball.

Car si l’esclavage et bien d’autres griefs sérieux opposaient Nord et Sud, le baseball était lui une passion commune. Et même durant la guerre, de chaque côté de la Mason-Dixon Line -ligne de démarcation entre les États abolitionnistes du nord et esclavagistes du sud depuis la guerre d’Indépendance-, on jouait au baseball. Mais c’est surtout du côté de l’Union que le jeu était rayonnant. Et pour cause, le baseball, qui pouvait avoir différentes règles selon les régions, était avant tout un jeu du Nord. Et plus que ça, un jeu new-yorkais. Car si New York n’est pas le lieu de naissance du baseball, il en est le berceau spirituel notamment parce que les règles modernes y furent créées par Alexander Cartwright en 1845 -les KnickerBocker rules- mais aussi parce que le jeu qui y était pratiqué était le plus populaire dans le pays notamment grâce à Jim Creighton et à son équipe, Excelsior of Brooklyn.

Ainsi, les soldats new-yorkais ont-ils pris l’habitude de jouer quelques parties entre eux mais aussi contre d’autres soldats issus d’autres régions, notamment du Massachusetts, autre terre de baseball dont les règles diffèrent de New York. Comme les soldats sont généralement répartis dans des régiments « régionalisés », quelques matchs donnent lieu à des remakes avant l’heure de Yankees-Red Sox. Sinon c’est du Dodgers-Giants à l’ancienne ou du Subway Series version Civil War entre new-yorkais. Dans le camp des Confédérés, les soldats en font de même. Mais loin d’être un élément de dissension régionaliste, le baseball est aussi l’occasion de rapprocher les soldats, de créer un esprit commun sur un champ intérieur ou extérieur avant le champ de bataille. C’est également l’occasion de décompresser dans le chaos ambiant.

Baseball à Fort Pulaski. Seule photo connue sur le baseball durant la guerre civile américaine.

Ce baseball version Guerre de Sécession va surtout permettre la démocratisation du jeu. Alors que le principe hiérarchique est bien établi tout comme celui de l’élite, le match de baseball est le seul moment où le simple soldat devient l’égal d’un officier. Sur le terrain, seules les capacités athlétiques et techniques comptent. D’ailleurs, les hiérarchies du Nord et du Sud encouragent cette pratique sportive qui permet de donner des soldats en meilleure condition physique. Ce fut d’ailleurs par la suite deux axes importants du développement du baseball et du sport en général aux États-Unis, et au delà de la nation américaine, le mythe de la réussite par le mérite personnel et l’importance donnée aux capacités physiques de chacun.

Donc rien d’anormal de voir en ce jour de Noël 1862 des soldats new-yorkais faire une partie de baseball. Sauf qu’ils savent qu’en ce jour spécial ils ne risquent aucune attaque de la part de l’ennemi car Noël est un jour de paix absolu. D’autres n’eurent pas cette chance comme les 57th et 69th de New York qui ont du arrêter brutalement leur match bombardés par l’artillerie confédérée la même année ou encore ces soldats de l’Union dont le camp fut attaqué en pleine partie par les sudistes en 1863 à Alexandria, Texas, et qui verra la mort du champ centre au début de l’attaque.

25 décembre 1862. Nous sommes à Hilton Head, dans l’archipel de Beaufort en Caroline du Sud, une île que la flotte de l’Union a reprise aux Confédérés en novembre 1861 par la Marine et 12 000 soldats nordistes. C’est un lieu stratégique pour le Nord qui en fait l’un des trois points de blocus du plan « Anaconda » qui visait à soumettre les États du Sud confédérés. Après sa prise, l’armée y créée une véritable ville forte de 13 500 soldats, 1 000 civil-es et 9 000 esclaves affranchi-es avec hôpital, école, commerces. Parmi les soldats qui se succèdent sur l’île, trois régiments new-yorkais qui vont former deux équipes. D’un côté, des soldats des 47th et 48th New York Infantry Régiments et de l’autre le 165th New York Volunteer Infantry dont le surnom est le Second Duryea’s Zouaves ou tout simplement Zouaves. Un surnom hérité à la fois d’un ancien commandant d’un régiment « Zouaves », le 5th New York Volunteers, Abram Duryee, mais aussi par rapport à leur uniforme très différent de l’uniforme bleu de l’Union connu de tous : pantalon ample rouge, guêtres blanches, vestes ornementées et fez (chapeau turc) avec un pompon bleu soit la tenue des Zouaves de l’armée française d’Afrique du Nord.

Zouaves de l’armée de l’Union

On ne sait que peu de choses sur ce match et rien concernant le score. Néanmoins, deux informations capitales sont parvenues jusqu’à nous. La première est le nom d’un des participants. Si son nom a su traverser l’histoire, c’est qu’il a contribué à l’histoire du baseball. Il s’agit d’A.G. Mills qui n’est autre que l’ancien quatrième président de la National League of Professional Base Ball Clubs (1883-1884) soit la National League soit ce qui allait devenir la MLB. Ce 25 décembre, il n’a que 18 ans, a appartenu auparavant aux Zouaves de la 5th comme Duryee, et ce futur avocat n’a pas encore marqué le baseball de son empreinte. Mais plus tard, en plus de sa présidence de la National League où il va s’attaquer à des très gros dossiers (contrats et salaires des joueurs, transferts), il va présider la célèbre commission Mills.

A.G. Mills

La commission Mills a pour point d’origine l’une des figures les plus célèbres du baseball, AG Spalding. Après une tournée mondiale entre 1888-1889, dont une étape parisienne, Spalding fait du baseball le meilleur des ambassadeurs américains, niant toute affiliation historique avec le rounders britannique. Le baseball a été créé totalement par le génie des américains. Or, au début du 20ème siècle, particulièrement dans un article publié en 1903, Henry Chadwick va remettre en cause cette croyance en argumentant sur le lien entre le rounders anglais, emmené dans le Nouveau Monde par les colons, et le baseball. Henry Chadwick est un écrivain, journaliste sportif et historien, appelé le « Père du Baseball » tant son œuvre pour le baseball fut fondamentale notamment au niveau des statistiques. Forcément, quand une telle autorité en matière de baseball remette en cause la théorie de l’autre grande autorité en matière de baseball, il faut les départager prestement. Il fut donc décidé de créer une commission qui aurait pour mission de déterminer les origines du baseball et cette commission fut confié à la présidence d’AG Mills qui lui donna son nom. Pour la petite histoire, Mills tenta de recruter Spalding, alors jeune lanceur et inconnu du baseball, après la guerre pour le compte de son équipe, l’Olympic Base Ball Club de Washington. Sans succès.

Henry Chadwik, "Father of Baseball"

Cette commission est célèbre pour avoir, sans vraies recherches historiques, fait d’Abner Doubleday, l’inventeur du baseball et de Cooperstown son lieu de naissance, où Doubleday a passé son enfance. Bien entendu, de futures recherches vont démontrer que tout ceci est faux, rendre à Cartwright ce qui appartient à Cartwright, établir qu’il n’y a pas de lieu de naissance du baseball mais qu’au contraire le baseball serait le descendant des jeux de batte européens comme le rounders et la thèque française. Mais il fallut un certain temps pour que la vérité éclate et durant de nombreuses années Doubleday fut célébré comme double héros : inventeur du National Pastime et héros de guerre. Car la commission Mills nous ramène à la Guerre de Sécession. Abner Doubleday est un héros de guerre. Il est le commandant en second de Fort Sumter quand les sudistes l’attaquent en 1861, déclenchant la guerre civile et c’est lui qui ordonne la première riposte au canon. Et surtout, il est l’un des héros de Gettysburg. L’homme parfait pour être l’inventeur du baseball. Mais jamais aucun lien de sera trouver entre le héros et le baseball.

Abner Doubleday

L’autre fait important qui est parvenu à nous depuis ce Noël 1862, c’est le nombre de spectateurs : 40 000 ! Ou 10 000 ? Moins ? En effet, les sources divergent. Avec 50 000 soldats de l’Union présents sur l’île à ce moment là, si on compte le millier de civil, les 9 000 affranchi-es et sachant que les prisonniers Confédérés faisaient partie du public, le chiffre de 40 000 personnes semble réaliste pour certains spécialistes. D’un autre côté, l’historien Peter Morris, grand connaisseur de cette période du baseball trouve un peu gros ce chiffre sachant que le premier match professionnel à New York en 1880, au Polo Grounds, avait réuni seulement quelques 2 000 spectateurs. Est-ce que la perspective d’un match du nouveau passe-temps national en ce jour de paix absolu a fait converger 40 000 spectateurs qui vinrent finalement plus pour communier ensemble dans la quiétude de la trêve de Noël que pour le seul match ? Il est fort probable que l’on ne le saura jamais.

Reste que ce match est considéré comme l’un des plus importants du 19ème siècle tant par le nombre de spectateurs que par le symbole qu’il représente : un jeu qui dépasse les tensions Nord/Sud, un jeu pour tous les américains même dans les heures les plus noires de la nation. Au final, le baseball version Guerre de Sécession sera l’un des moteurs du développement du baseball comme Passe-Temps National, comme outil de démocratisation du sport US, comme vecteur d’une certaine idée de la justice sociale à l’américaine (basée sur le mérite, la réussite et les capacités personnelles même si évidemment les choses sont plus compliquées dans la réalité) et comme vecteur d’unité du pays.

En ce jour de Noël 1862, c’est donc l’Histoire du baseball et du pays qui s’écrivit. Et plus important encore, ce fut un peu de joie qui réchauffa les cœurs et les esprits meurtris par la guerre. Finalement, le plus grand bienfait de ce match.

 

 

Sources :

Fangraphs

Baseball Almanach

Wikipédia

 

5 commentaires à “Christmas Day Game 1862”

  1. Gaétan dit :

    Non, pas d’exemple de fraternisation comme en 14-18 où des soldats alliés ont joué au foot avec des allemands (ça a donné un film Joyeux Noël me semble-t-il qui a romancé cela).

    En revanche, les prisonniers ont joué devant leurs geôliers et vice-versa mais je n’ai pas trouvé trace que les prisonniers et geôliers aient pu jouer ensemble.

  2. Med dit :

    Très intéressant ! On n’a pas d’exemple de fraternisation entre Sudistes et Nordistes, autour d’un match de baseball ? (comme on a eu dans les tranchées en 14-18).

    En tout cas, encore merci pour ces super articles et bonnes fêtes à toute l’équipe de Honus !!

  3. Gaétan dit :

    Ce baseball version Civil War montre déjà la domination New-Yorkaise sur le jeu alors que dans le même temps Jim Creighton et l’Excelsior de Brooklyn popularise le baseball et le révolutionne. Creighton a fait du baseball un jeu excitant avec sa dimension « grandes stars » et la Guerre de Sécession lui a donné son côté patriotique, unificateur. Le tout donnant le National Pastime. Sans oublier que le baseball a été codifié en 1845 à New York.

    Pas étonnant donc que New York est produit les Giants, les Dodgders, les Yankees et les Mets en autres. Et même si Chicago, Saint Louis, Boston, Cincinnati sont devenus des terres de baseball, que les Giants et les Dodgders ont déménagé, New York reste et restera la ville du baseball ! ça explique en partie la domination des équipes new-yorkaises en terme de titres !

  4. francovanslyke dit :

    pour compléter ton article le travail de Aubrecht, un historien sur la question avec notamment un intéressant tableau qui rapporte les différents matchs qui ont eu lieu au sein des deux armées et qui explique aussi que ces matchs ont favorisé une uniformisation des règles du jeu pour former à terme les bases des règles du baseball
    http://www.pinstripepress.net/CWHBaseball.pdf

  5. francovanslyke dit :

    Bel article d’histoire Gaetan ! Pour ceux que ca intéresse, un livre existe sur le baseball pendant la guerre de sécession, de Kirsch « Baseball in blue and gray : the national pastime during civil war » qui montre qu’un attrait existait déjà à cette époque pour ce sport, pratiqué sous diverses règles dans quelques villes du nord (autour de New york) et dans le sud.

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