Million Dollar Arm

Au printemps 2014, Disney sortait "Million Dollar Arm", un film basé sur une histoire vraie, celle des deux premiers indiens à devenir des joueurs professionnels de baseball, au terme d’un reality show. À l’occasion de la coupe du monde de cricket qui a débuté le 14 février dernier en Australie, Honus revient sur cette folle histoire de baseball au pays du cricket.

L’histoire

JB Bernstein est un agent sportif qui a géré de grands noms dont Barry Bonds. Mais en 2007, son cabinet est en crise. C’est alors que lui vient une idée : trouver au pays du cricket un lanceur de baseball. Un soir, alors qu’il regarde un match de NBA, il y voit Yao Ming. Ce joueur chinois a permis, à l’époque, à la NBA de percer dans le marché chinois. Plus tard, le même soir, il tombe sur un match indien de cricket diffusé par ESPN. Et là, c’est la révélation. Voyant des lanceurs de cricket lancer à 93 mph et se rappelant de l’exemple Yao Ming, il lui vient l’idée de trouver la future star du baseball en Inde. L’Inde offre un marché potentiel d’un milliard d’individus au baseball nord-américain. Une success-story à l’américaine permettrait de faire décoller ce marché… et de sauver le business de Bernstein.

Pour arriver à ses fins, il lance, avec son partenaire Ash Vasudevan, un concept : faire d’une simple détection un show TV. Pour l’aventure, ils reçoivent le financement de l’un des actionnaires des San Francisco Giants, Will Chang, également actionnaire de DC United en Major League Soccer et l’un des responsable d’USA Rugby et la Coupe du Monde 2018 au Japon (pays où il est né).

Jon Hamm et JB Bernstein

L’émission de télé-réalité se nomme « Million Dollar Arm » et débute en novembre 2007. Il permet, jusqu’en mars 2008, à 37.000 indiens de rêver gagner la récompense ultime du concours : un million de dollars pour celui qui alignera trois lancers consécutifs à au moins 90mph. En prime, lui et son second s’envoleront pour les États-Unis afin de s’entraîner au baseball et de tenter de décrocher un contrat professionnel lors d’une détection devant les recruteurs de la MLB.

 

Million Dollar Arm… en vrai !

Au fil des épisodes, le niveau va se révéler très décevant. Peu de participants atteignent des vitesses acceptables pour un lanceur de baseball prometteur. Et à la surprise générale, ce ne sont pas des joueurs de cricket qui vont finalement remporter le concours mais deux lanceurs de javelot de la ville de Lucknow. Lors d’une finale réunissant les 30 meilleurs, à laquelle l’expérimenté scout Ray Poitevint participe, Rinku Singh remporte le concours avec une balle à 89 mph. Il n’obtient pas le million de dollars mais repart tout de même avec 100.000 dollars, une somme exceptionnel pour celui qui travaille avec son père, modeste conducteur de camion dans l’Inde rurale. Le finaliste est Dinesh Patel qui gagne, pour sa part, 5.000 dollars, là encore, une somme exceptionnelle pour lui, venant d’une famille extrêmement pauvre.

Si Rinku Singh a joué au cricket dans sa jeunesse, il a surtout excellé au javelot où il a été médaillé au niveau national en junior. Quant à Dinesh Patel, il gagna la médaille d’or au National School Games en 2006, toujours au javelot. Issus de l’Inde pauvre et rurale, de villages où l’accès à l’eau ou à l’électricité est précaire voir inexistant, ils vont se retrouver projetés dans un autre univers, Los Angeles.

Bernstein les loges dans son appartement avec Deepesh Solanki, un des rares passionnés indiens de baseball, qui assure le rôle d’interprète. Ils sont pris en main à l’Université de Southern California par l’ancien Major Leaguer et coach au sein des prestigieux Trojans, Tom House. Tom House a lancé 8 saisons, de 1971 à 1978, en MLB au sein des Atlanta Braves, des Boston Red Sox et des Seattle Mariners. Puis, obtenant plusieurs diplômes à l’université notamment en psychologie, il devient coach. Un coach reconnu à la fois pour ses méthodes inhabituelles et novatrices mais aussi efficaces. Nolan Ryan, dont House fut le pitching coach chez les Texas Rangers, reconnut son influence positive sur ses performances en le remerciant lors de son discours d’introduction au Hall of Fame. Il fut également coach au sein des Houston Astros, des San Diego Padres et des Chiba Lotte Marines. Il coache également des quaterbacks de la NFL. Parmi eux, Tim Elbow et Tom Brady. C’est une référence.

Rinku Singh et Dinesh Patel

Tom House semble plus qu’indiqué pour transformer deux néophytes venant de la campagne indienne en prometteurs joueurs de baseball. Alors que les joueurs des Trojans s’entraînent 2 à 3 heures par jour, Singh et Patel travaillent leur baseball durant 6 à 7 heures quotidiennement. Tout en travaillant leur apprentissage du baseball et leur motion de lanceur, ils subissent un régime hyperprotéiné et un entraînement physique qui les transforment. Singh passe ainsi de 81 à 99 kilos en quelques mois.

En novembre 2008, les deux indiens passent deux essais en Arizona devant les recruteurs de quasiment toutes les équipes de la MLB. Si le premier n’est pas concluant, le second va se révéler être une réussite, les deux joueurs lançant à plus de 90 mph chacun. Fin novembre, Singh et Patel sont signés par les Pirates de Pittsburgh pour un bonus total de 8.000 dollars, devenant les premiers indiens à signer un contrat professionnel dans le sport nord-américain.

Les deux compères débutent en Gulf Coast League en 2009. Le 4 juillet, Singh entre en jeu en 7ème manche pour devenir le premier joueur indien à disputer un match professionnel de baseball aux États-Unis. Patel devient le second en 8ème manche. Le 13 juillet, Singh remporte son premier match en retirant le seul batteur qui lui fait face et termine sa saison avec un record de 1-2 pour 5.84 d’ERA en 11 rencontres. L’année suivante, ses stats en GCL (13 matchs, record 2-0, ERA 2.61) le conduisent en Class A Short Season avec les State College Spikes en New York Penn-League. Il joue également en Australian Baseball League (ABL) en 2010-2011 pour un record de 1-0 et 3.94 d’ERA en 16 manches lancées.

En 2011, il enchaîne la Dominican Summer League, la Gulf Coast League et la New York-Penn League avant d’être promu en Class A au sein de la Southern Atlantic League avec les West Virginia Power. À l’issue de sa saison américaine, il rejoint une nouvelle fois l’ABL avec les Adélaïde Bite, faisant parti de la World All Star Team du 2011 ABL All Star Game. En 2012, il est de retour avec les Power où il lance dans 39 matchs pour 72 manches, un record de 3-1 et 65 strikeouts. Malheureusement, une blessure au bras le conduit à rater les saison 2013 et 2014, arrêtant sa prometteuse progression. Il a subi en 2014 une intervention chirurgicale Tommy John et les Pirates espèrent le voir revenir en 2015. Au final, Singh obtient en Ligues Mineures un record de 10-6 avec 2.99 d’ERA, un WHIP de 1.256 en 147.1 manches et 126 strikeouts contre 41 bases sur balles. Considérant qu’il n’avait jamais joué au baseball avant 2008, c’est un bilan plus que flatteur. 

Rinku Singh dans ses oeuvres

Patel n’aura pas le même chemin au sein des Mineures. Si sa saison 2009 est brillante avec un record de 1-0 pour 1.42 d’ERA en 6.1 manches, le releveur connaît une saison 2010 catastrophique avec 8.59 d’ERA en 7.1 manches lancées. Il est libéré par les Pirates en décembre 2010. Il retourne alors en Inde pour finir ses études afin de devenir professeur. Parallèlement, il enseigne le baseball à des enfants de Delhi, prépare les jeunes de son village pour la seconde saison de Million Dollar Arm et reprend le javelot de haut niveau. Deepesh Solanki est également retourné en Inde pour y enseigner le baseball à l’université de Mumbai.

Quand à JB Bernstein et ses associés, ils ont repris le chemin de l’Inde pour deux nouvelles éditions de Million Dollar Arm. La seconde a vu la victoire d’un autre lanceur de javelot, Gaurav Nehra, sur 100.000 participants, qui est allé s’entraîner à l’académie MLB en Chine avant de revenir en Inde pour y intégrer les forces de police, une opportunité qu’il ne pouvait manquer. La troisième saison a commencé cet automne et l’objectif est d’atteindre les 500.000 participants. Entre-temps, et juste avant le film, Bernstein sortait son livre, narrant cette folle aventure.

Le film

Le film est sorti en mai 2014. Produit par Disney, il fait parti de la longue liste des films sportifs des studios du père de Mickey Mouse. Le catalogue Disney compte de nombreux films de baseball dont certains sont devenus des classiques comme The Rookie (Rêve de Champion avec Dennis Quaid, basé sur l’histoire vraie de Jim Morris) ou encore le fameux Angels in the Outfield (avec Danny Glover, Christopher Lloyd et Tony Danza, remake d’un film de 1951).

Bande Annonce (VF) de Million Dollar Arm

Si le film est bien entendu romancé, comme toute fiction, il colle cependant assez bien à l’histoire véritable de JB Bernstein. Quelques noms ont été changé (Deepesh Solanki devenant Amit Rohan par exemple) mais les faits majeurs ou certains détails ont été conservés, donnant beaucoup de réalisme à la fiction. Ainsi, la manière dont Bernstein a du travailler en Inde, pays où la corruption est importante et les contrats vus différemment qu’aux États-Unis. Bernstein précisa que le contrat pour 10 épisodes, lors de la première saison, fut uniquement conclu par une poignée de mains.

Le film montre également l’histoire d’amour entre Bernstein et sa locataire, Brenda, infirmière. Ce qui pourrait apparaître comme une partie inventée est en fait la réalité. Tout comme son changement de philosophie de vie au contact de ses deux protégés. Ces derniers sont montrés d’ailleurs comme deux ingénus découvrant une société occidentale à mille lieux de leur village de l’Uttar Pradesh dans le nord de l’Inde. Pourtant, là encore, leur fascination pour les fontaines à eau ou les pizzas ne sont pas une fiction.

Si le film n’est pas un chef d’œuvre du niveau des Field of Dreams, Moneyball (Le Stratège) ou The Natural (le Meilleur), il tient la comparaison avec de beaux films comme The Rookie ou 42. Tourné par Craig Gillespie, il est porté par de très bons acteurs : Jon Hamm (Mad Men), Aasif Mandvi (Le dernier maître de l’air, les stagiaires), Suraj Sharma (l’Odyssée de Pi), Madhur Mittal (Slumdog Millionaire), Bill Paxton (Alien le retour, Twister, Predator 2), Alan Arkin (Argo, Bienvenue à Gattaca, Little Miss Sunshine), Lake Bell et le très drôle Pitobash Tripathy.

C’est une vraie déception de ne pas l’avoir vu sur les écrans français car si le baseball est l’un des thèmes centraux du film, ce dernier reste accessible à tous les publics avec ce qu’il faut d’humour, de suspens, de dépaysement et de bons sentiments, comme toute bonne comédie familiale.

Baseball et Cricket

L’expérience « Million Dollar Arm » a finalement remis au goût du jour la question : peut-on adapter un joueur de cricket au baseball (ou inversement) ? Régulièrement, la réponse est non. En effet, que ce soit au lancer, à la batte ou au fielding, les mécaniques sont différentes. De même que l’espace utilisé amène ces deux jeux, aux origines communes, à des spécificités importantes. Néanmoins, ces origines communes permettent certainement à faciliter la transition, notamment au niveau du fielding ou de la batte. Mais la mécanique du lanceur semble trop éloigné d’un sport à un autre. Ne serait-ce parce qu’au cricket, le lanceur arrive en courant, là où le baseball est statique sur son monticule. Mais cette réponse négative n’est-elle pas trop… facile ?

Dans l’histoire de ces deux sports, il existe quand même une période où il était facile de passer de l’un à l’autre. C’était au 19ème siècle. En effet, le cricket fut longtemps, le sport national américain. Les colons britanniques y jouant depuis plus d’un siècle dans le nouveau monde, tout comme au rounders, autre sport de batte en vogue à l’époque aux États-Unis comme en Angleterre. La jeune Amérique va très tôt se réapproprier ces deux jeux pour en bâtir de nouveaux jusqu’à ce qu’Alexander Cartwright, en 1845, unifie finalement, sans le savoir, ce mouvement en créant le baseball moderne à travers les Knickerbocker Rules. Mais il faut attendre les années 1860 pour voir le baseball supplanter le cricket comme Passe-Temps National (National Pastime) à travers notamment les exploits de Jim Creighton et l’impact de la guerre de sécession

Chris Young et Justin Upton s’essaient au cricket avec des membres de l’équipe nationale américaine

Jim Creighton, comme de nombreux joueurs de l’époque, excelle au cricket et au baseball. Si les deux sports ont déjà leur spécificité, le baseball n’est pas encore celui que nous connaissons. Il ressemble à un jeu de balle donnée où la défense est la notion dominante. Les frappes sont plus nombreuses. Ce qui le rapproche du cricket. Ce n’est donc pas étonnant de voir des joueurs exceller dans les deux disciplines. Il faudra attendre que Jim Creighton accélère le lancer de baseball pour conduire celui-ci à privilégier le lanceur avec des frappes plus rares, l’éloignant définitivement du cricket.

L’évolution du sport de haut niveau conduit à minorer aujourd’hui ces aspects. Si les frappes sont toujours plus nombreuses en cricket, le bowling (équivalent du pitching baseball au cricket) sert aussi à éliminer l’adversaire. Le lanceur en cricket peut donc user, comme en baseball, d’effets pour tromper le batteur. Les frappes étant, on l’a dit, plus nombreuses, la difficulté est surtout de bien frapper la balle pour garantir un maximum de points lors de son passage à la batte. Tous les aspects du jeu, en baseball comme en cricket, deviennent d’une importance égale car la moindre erreur peut coûter la victoire. La précision est de mise à tous les niveaux.

D’ailleurs, le cricket demande les mêmes qualités que le baseball : la vision, la coordination vision-mains, les réflexes, la vitesse, l’endurance, la puissance, la maîtrise des bases techniques et, bien entendu, le mental. Même s’il diffère du baseball, le duel entre le serveur (autre nom du lanceur en cricket) et le batteur (batsman) est le cœur du jeu, particulièrement au cricket puisque cet affrontement a lieu au milieu du terrain. L’aspect tactique est identique. La simple puissance ou vitesse ne suffit pas. Baseball et cricket demandent aux joueurs et joueuses d’adapter leur jeu à la situation à chaque instant.

Sports Science sur le batting au cricket et au baseball avec le Major Leaguer Mark Reynolds

Même s’il semble difficile à un « cricketeer » confirmé de passer au baseball, et inversement, on peut imaginer qu’un individu pratiquant les deux sports en même temps pourrait très bien acquérir de vraies compétences dans les deux sports. Serait-ce vrai à un niveau professionnel, ou du moins dans le haut niveau amateur ou universitaire par exemple ? Il est compliqué de répondre à la question car ces deux sports ont grandi dans des zones géographiques différentes, le baseball reléguant le cricket américain à la marge. Aujourd’hui, le seul pays où baseball et cricket professionnels coexistent est l’Australie. Mais le cricket est le sport numéro 1 dans ce pays alors que le baseball professionnel n’y existe que depuis 2010. Ils ne jouent pas dans la même catégorie.

Ailleurs, cricket et baseball coexistent sur les mêmes continents mais jamais au sein des mêmes pays, pas dans le haut niveau en tout cas. Le baseball s’installe dans l’Asie extrême-orientale tandis que le cricket domine le sous-continent indien. Le baseball prospère dans une partie des Caraïbes (Cuba, République Dominicaine, Puerto Rico) tandis que les Caraïbes du Commonwealth forment les West Indies, l’une des puissances du cricket mondial. Cricket et baseball vivent donc dans des cultures sportives et historiques différentes, délimitant finalement assez strictement leurs zones d’influence géographiques respectives.

Néanmoins, l’histoire compte de nombreux athlètes ayant excellé dans plusieurs disciplines au haut niveau voir en professionnel. Le plus connu au baseball étant Bo Jackson, star de la NFL et de la MLB. La difficulté n’est pas spécialement de passer d’un sport à un autre. Cela dépend des compétences de l’athlète mais aussi de la culture sportive de son pays. Il est assez simple pour un américain de pratiquer à haut niveau baseball, football américain, basketball et hockey dès son plus jeune âge. Un anglais pourra en faire de même avec le cricket, le football et le rugby. En cas de réussite, il pourra intégrer à chaque fois des championnats professionnels et vivre de ses passions, même en changeant de sport.

Mais un indien aura du mal à viser cela en pratiquant le cricket et le baseball. Idem pour un américain avec le baseball et le cricket. La prise de risque est trop importante, le résultat trop aléatoire. À ce titre, Million Dollar Arm est un vrai tour de force car il permet à des indiens d’atteindre le niveau professionnel dans un sport à l’état embryonnaire dans leur pays. Même si, en définitive, tous les vainqueurs de l’émission étaient des lanceurs de javelot et non des joueurs de cricket !

bHonus :

Belle vidéo d’animation d’ESPN qui présente le cricket en 2 minutes à l’occasion de la Coupe du Monde 2015. 

Découvrir le cricket en français, c’est possible avec cet article sur BeinSport YourZone.

Suivez la Coupe du Monde de Cricket 2015 sur le site de l’International Cricket Council.

 

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