La boue de Lena Blackburne

Si on en croît le site de la MiLB, les équipes de Major League utilisent entre 60 et 70 balles en moyenne par match. Avec 162 matchs par équipe, cela fait 2430 matchs en saison régulière, soit un total de balles utilisées en saison qui se situe dans la fourchette 150.000 – 175.000 balles.

Depuis la mort de Ray Chapman en 1920, les arbitres ont l’obligation de changer les balles dès qu’elles sont altérées, faisant passer le baseball de l’Ère de la Balle Morte (Dead Ball Era) à l’Ère de la Balle Vivante. Avant chaque match, l’équipe recevante doit avoir un certain nombre de balles mis à disposition pour la rencontre (actuellement, on parle de 90 balles en MLB). Ces balles vont être confiées aux arbitres qui vont les préparer.

Durant la Dead Ball Era, les frappes, la boue, la pluie, la poussière, les griffures faites par les joueurs et les substances (corporelles ou autres !) mises sur la balle illégalement par les joueurs, notamment les lanceurs, changeaient considérablement la balle la rendant imprévisible, plus difficile à voir… ce qui conduisit à la mort de Chapman.

Quand on commença à changer les balles régulièrement, on ne pouvait utiliser une balle complètement neuve à chaque changement : tellement blanche qu’elle facilitait le travail des batteurs, tellement lisse qu’elle rendait difficile celui des lanceurs. Donc on préparait la balle en lui appliquant de la terre du terrain mélangée à de l’eau. Mais cette boue dégradait beaucoup trop l’aspect et la texture de la balle. La balle noircissait, devenait de mauvaise qualité. On tenta par la suite d’autres techniques : cirage pour chaussures, jus de Tabasco, de la terre qu’on prenait sous les gradins pour en changer…

Ces procédés étaient utilisés à tous les niveaux : MLB, ligues mineures, championnats professionnels indépendants ou universitaires… Mais sans trouver le bon. Ce qui, bien sûr, avait alors un impact sur le jeu. Pendant 18 ans, on fit avec jusqu’à ce qu’un arbitre s’en plaigne à un coach de troisième base des Philadelphia Athletics, un certain Lena Blackburne. Une complainte innocente comme on en fait de manière naturelle tous les jours mais qui, ce jour-là, allait avoir une importance décisive sur le jeu.

Russell Aubrey « Lena » Blackburne fut un joueur des ligues majeures durant 9 ans mais de manière clairsemée. Il débuta dans les Big Leagues en 1910 chez les Chicago White Sox, y jouant également en 1912, 1914 et 1915. Puis il pris l’uniforme des Reds de Cincinnati en 1918 avant de rejoindre successivement les Boston Braves et les Philadelphia Phillies en 1919. Il faut alors attendre 1927 puis 1929 pour le revoir sur un terrain de la MLB avec de nouveau les White Sox, dont il fut l’un des coachs entre 1927 et 1928 puis le manager de 1928 à 1929. Cet infielder polyvalent termina sa carrière le 05 juin 1929 avec une moyenne de frappe de .214 dont 4 homeruns et 139 RBI.

Entre temps, on le retrouve en 1916 et en 1921 comme manager des Toronto Maple Leafs en International League. En 1930, il est embauché comme coach des Saint Louis Browns avec lesquels il reste une saison. Puis il va rejoindre à trois reprises les Philadelphia Athletics de 1933 à 1938, de 1940 à 1945 et enfin de 1947 à 1948 avant de devenir l’un de leurs recruteurs lors de leur déménagement à Kansas City à la fin de l’année 1954. Mais durant sa première période A’s, il va aussi se créer une autre casquette, celle d’entrepreneur. Et pas un entrepreneur comme les autres. Il va devenir le fournisseur officiel de la MLB… en boue !

Rappelez-vous la remarque de l’arbitre en 1938 ! Cela va faire réfléchir Blackburne qui va alors relever le défi. Il retourne dans la région où il a grandi, près de Palmyra dans le New Jersey. Il va prospecter dans le coin, le long des affluents de la rivière Delaware. Et il finit par trouver la boue idéale ! Une boue sans mauvaise odeur, ni graisseuse, enlevant la brillance de la balle sans la noircir, la vieillissant sans la dégrader, permettant une meilleure adhésion dans la main des joueurs et ne modifiant par la trajectoire des lancers. Les arbitres sont ravis et les équipes de l’American League sont conquises dès 1938. Il en devient le fournisseur officiel de boue. La National League, elle, n’aura pas cette chance. Blackburne est un fan absolu de l’AL et refusera de vendre sa boue à la plus vieille des ligues majeures jusqu’au milieu des années 50.

Aujourd’hui, sa boue est utilisée par toute la MLB, la majeure partie des ligues mineures ainsi que certains championnats pros indépendants ou universitaires comme la NCAA. Chaque mois de juillet, le patron et quelques employés de l’entreprise de Lena Blackburne vont recueillir la boue dans des endroits tenus secrets depuis le premier jour de l’aventure. Ils ramènent environ 375 kilos de boue qu’ils stockent jusqu’au printemps prochain pour le début de la saison.

Lena Blackburne meurt en 1968, léguant ses secrets à l’un de ses amis qui travaillait dans sa secrète entreprise, John Haas. Lui-même finit par léguer l’entreprise à sa fille et son mari qui la léguèrent à leur tour à leur fils et sa famille. Une belle histoire de success story familiale comme les aiment les américains, qui plus est dans le cadre du National Pastime. Lena Blackburne a donc légué SES secrets. Car, un autre mystère entoure la boue : est-elle modifiée, même avec des produits naturels ? Car, si la source de la boue reste secrète, de nombreuses personnes ont tenté de reproduire ses effets. Jusqu’à aujourd’hui, aucun procédé, aucun produit n’est arrivé à la hauteur de la qualité de la boue de Lena Blackburne.

Une boue qui désormais trône au sein du Baseball Hall of Fame à Cooperstown.

Bhonus :

Le site de la Lena Blackburne Rubbing Mud dont une vidéo sur la préparation d’une balle de baseball

La boue de Lena Blackburne au Hall of Fame

Un article en français avec une vidéo sur la préparation des balles en MLB avec Dan O’Rourke, chef de l’équipement des Phillies de Philadelphie.

 

 

3 commentaires à “La boue de Lena Blackburne”

  1. Gaétan dit :

    Grâce à Shoeless Joe de WP Kinsella.

    Ce qui est fou, c’est que cela reste une entreprise familiale et un secret bien gardé alors qu’il y a un marché économique assez énorme là dessous. La MLB, c’est un gros business mais capable de générer encore de belles histoires.

  2. Fishiguchi dit :

    Comme Franco, je ne connaissais pas du tout cet histoire !
    Comment en as-tu entendu parler, Gaetan ?

  3. francovanslyke dit :

    Trés intéressant comme article : je n’étais pas du tout au courant de la boue « autorisée » sur les balles de MLB. Donc bien faire la différence entre les substances illicites (style du pine tar sur les balles ex voir le closer des Braves) et la boue de préparation Blackburne tout à fait légale….

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