Sivess ! Pete Sivess !

Honus vous a déjà conté l’histoire du célèbre Moe Berg, receveur en ligue majeure et espion à ses heures perdues. Si Berg était un joueur de baseball qui joua aux espions, Pete Sivess fut, quant à lui, un agent secret qui joua au baseball. Ces deux hommes partagèrent une carrière en Major League et une grande intelligence. Ils étaient tous les deux polyglottes. Mais l’un fut avant tout un joueur de baseball accompli quand le deuxième fut un agent accompli. Voilà la différence qui sépare les deux plus célèbres agents secrets du monde du baseball.

En effet, Pete Sivess n’effectua pas quelques missions ici ou là. Quand il fut recruté par la CIA en 1948 (un an après la création de la célèbre agence), il s’engagea dans une carrière qui dura 24 années, auxquelles il faut ajouter son engagement dans la Navy en août 1943 qui le conduisit à faire ses premiers pas dans le renseignement. Issu d’une famille venue de Lituanie, Sivess parlait le russe couramment, ce qui fit de lui un agent de liaison et un formateur de la marine russe durant la seconde guerre mondiale avant d’être affecté, à la fin de celle-ci, à l’Allied Patrol Commission au port de Constanta (Roumanie), au lieu de l’espionnage d’après guerre, puis en Tchécoslovaquie (où il recevra la médaille du Mérite de l’Ordre Militaire 1ère classe de la Tchécoslovaquie). Ce sont ses expériences, ses excellents états de service et sa connaissance parfaite du russe qui en fera un candidat idéal pour la CIA. CIA dont il marquera l’histoire.

Mais avant cette carrière dans le monde du renseignement, son nom était connu seulement des fans de baseball. Sivess est né en 1913 à South River dans le New Jersey, ville connue pour accueillir de nombreux immigrants d’Europe de l’Est et où son père travaille au sein la manufacture de pneus Michelin. Il se révèle très tôt comme un élève billant et un athlète doué. Dans son année junior de High School, il lance un no-hitter. En année sénior, il retire 32 frappeurs au marbre en seulement 20 manches. Il est nommé dans la All-Star Team de l’état en 1932 et lance l’été chez les semi-pro de Janesburg dans l’Interboro League. Cette double carrière brillante d’étudiant et de sportif se poursuit à l’université. Intégrant le Dickinson College de Carlisle (Pennsylvanie), il excelle dans les équipes de track, football américain, basketball et baseball. En 1936, il établit le record du college en strikeout (243) avec une fiche de 8-2, 2 sauvetages et 1.90 d’ERA. Il obtient également son diplôme en philosophie. Ses performances attirent l’oeil des Phillies qui le signent cette même année, en février.

 

Chose peu habituelle, il est placé directement dans le roster de l’équipe et joue en MLB dès la saison 1936. Il entre en relève en 8ème manche le 13 juin pour son premier match dans le Show, allouant un but sur balle mais n’accordant aucun coup sûr et aucun point. Il enregistre sa première victoire le 14 juillet contre les Reds de Cincinnati avec deux manches de relève en 8 et 9 pour une victoire 9-8 des siens ! Le premier coup sûr frappé contre lui intervient le 21 juillet et le 12 août, il effectue son premier départ pour une défaite 4-2 contre les Boston Braves. Il finit sa saison rookie avec une fiche de 3-4 et 4.57 d’ERA. Comme tous les jeunes de lanceur à cette époque, il manque de contrôle mais, d’un physique imposant, il possède une balle rapide « flamboyante » avec en complément une bonne courbe et une changeup.

Excentrique, ayant une forte personnalité, il se surnomme le « Lion de Leningrad » tandis que ses coéquipiers préfèrent garder celui qu’il avait obtenu à l’université « The Mad Russian ». C’est ce caractère qui lui permit d’exceller durant ses carrières d’étudiant, de sportif et d’agent du renseignement, malgré les épreuves qu’il dut traverser, notamment sa blessure en 1937. Effectivement, à cette époque, les joueurs cumulaient saison de baseball et emploi hivernal. Celui de Sivess durant l’hiver 36-37 est un job de manutentionnaire chez DeDupont. Or, ce travail exigeant use son bras lanceur dans lequel il ressent une vive douleur. Conséquence, invité au Spring Training des Phillies, son contrôle souffre autant que son bras. Les Phillies sont particulièrement mécontents que Sivess est pris un travail si dangereux pour son bras, ce à quoi il répond qu’il doit bien vivre. D’ailleurs, lui-même n’est pas impressionné par les performances de ses coéquipiers. Il déclare même qu’il cessera de lancer pour prendre une autre position au vu du jeu de certains joueurs qu’il traite de bons à rien. Une forte personnalité.

 

Malgré tout, Sivess est gardé et débute la saison. Mais après quatre matchs, son ERA est de 16.88, décidant le club à l’envoyer aux Milwaukee Brewers de l’American Association. Il lance deux matchs peu probants et les Brewers l’envoient à leur tour aux Phillies, qui l’expédient alors aux Baltimore Orioles qui évoluent en International League. Ce transfert va se révéler salvateur pour Sivess. Le receveur-manager Buck Crouse change sa façon de lancer, sauvant la carrière de Sivess qui renoue avec le succès. Il finit dans les top lanceurs de la ligue avec un ERA de 2.43 et une fiche de 15-5, neuf matchs complets, deux blanchissages et six sauvetages. Quatre de ses cinq défaites le furent d’un seul point et la cinquième de deux points. Johnny Ogden, business manager des Orioles, déclare « Il est une combinaison de Babe Ruth et Carl Hubbell quand on parle de capacité. Mais il est aussi excentrique qu’il est talentueux. Il a les longs cheveux d’un moine, les traits ascétiques d’un Gandhi et les bras d’un singe ».

 

Suite à cette bonne saison, les Phillies le rappellent pour la fin de la leur où il lance deux matchs pour une victoire dans un match complet et une défaite avec un ERA de 1.80 . Néanmoins, quand reprend la saison suivante et alors que les Orioles le réclament, Jimmie Wilson, le coach des Phillies, refuse le prêt et préfère le garder, l’envoyant dans l’enclos au grand mécontentement de Sivess. Finalement, il starte le 22 mai 1938 pour un match complet et une victoire. Mais il repart dans l’enclos des releveurs six jours plus tard seulement après un deuxième départ catastrophique. Il lancera seulement six autres matchs comme lanceur partant durant la saison, terminant avec une fiche de 3-6 pour 5.51 d’ERA. Entré en relève contre les Brooklyn Dodgers le 2 octobre, il lance alors son dernier match dans le Show. Sivess va resigner une saison supplémentaire avec la franchise de Philadelphie mais cette dernière l’envoie, après le Spring Training, aux Bears de Newark contre leur première base Len Gabrielson. Sivess y retrouve une forte concurrence au monticule et il revient alors vers les Phillies qui vont finalement le libérer de son contrat en juin. Il termine la saison en International League avec Jersey City.

Devenu coach des Reds de Cincinnati, Jimmie Wilson fait signer Sivess pour la saison en 1940. Les Reds l’assigne aux Indians d’Indianapolis de l’American Association où il passera toute la saison. Il remplit une fiche de 7-12 avec un ERA de 4.89 . Il revient en 1942 chez les Indians mais après six matchs (0-2, ERA 8.44), les Indians le libèrent. Il rebondit à Elmira en Eastern League puis aux Nationales de Sprinfield dans la même ligue qui le libèrent à leur tour en septembre. Pete Sivess quitte définitivement le Baseball Organisé. Là encore, il trouve une équipe pour finir la saison, dans une puissante équipe semi-pro, les Brooklyn Bushwick.

1942. L’Amérique est en guerre. Sivess travaille pour Grumman Aircraft Engineering Corp., entreprise pour laquelle il joue également au baseball au sein des Grumman Bombers où l’on retrouve le lanceur MLB Jumbo Brown (vainqueur de deux World Series avec les New York Yankees) ou encore le lanceur de House of David Moose Swaney. Il y joue en 1942 et 1943 comme lanceur et champ extérieur.

 

Mais l’appel du devoir se fait sentir et il s’engage dans la Navy en août 1943 avec la carrière, décrite plus haut, que l’on sait. Alors qu’on lui propose de jouer au baseball pour les soldats comme on le propose à nombre de joueurs de la MLB à l’époque, il refuse. Bien plus tard, il déclara « j’étais venu faire le job. Il y avait une guerre et porter un uniforme de baseball était la dernière chose que je voulais faire ». C’est d’ailleurs ce qu’il dit à la Navy quand on le lui demande «Je me suis engagé pour faire ma part dans la guerre et le baseball est la dernière chose à laquelle j’ai à penser. C’est cela que je leurs ai dit», comme il le racontera plus tard dans la presse. Il était de la même trempe que Phil Marchildon et Ed Lafitte, des Major Leaguers qui s’engagèrent afin de combattre pour leur pays et non pour assurer le spectacle des GI’s.

Bien entendu, il ne rejoua plus au baseball (du moins, au baseball professionnel). Après avoir intégré la CIA en 1948, il devient rapidement, en 1951, le chef de l’Alien Branch, en charge notamment des transfuges de l’Est. Il définit la politique de l’Agence en matière transfuges. Cette même année, il fait acheter une ferme, Ashford Farm, et son domaine par la CIA ,qui deviendra le premier lieu créé pour l’accueil des transfuges. La ferme se trouve dans le Maryland, au bord de la Choptank River. Il va durant sa carrière y accueillir et y débriefer, sa spécialité, de nombreuses personnes qui quittèrent le bloc soviétique ainsi que des agents américains. Son plus célèbre débriefing fut celui de Gary Powers, célèbre pilote de la CIA dont l’avion espion U-2 fut abattu par les soviétiques au dessus de la Russie le 1er mai 1960. Condamné à seulement dix ans de prison, il fut libéré après 17 mois de captivité suite à un échange de prisonniers.

 

Un autre célèbre pensionnaire du « paradis » pour transfuges, géré par Sivess, fut l’agent double Nicholas Shadrin. Officier de la Marine russe, il devint agent double en 1959 pour le compte de la CIA. Il devint un ami de Sivess avec lequel il pêchait et chassait, partant en vacances ensemble avec leurs épouses. En 1975, Shadrin, qui était en mission, et sa femme disparaissent à Vienne en Autriche. Sivess n’eut plus jamais de ses nouvelles. On apprit plus tard qu’il fut enlevé par le KGB et qu’il mourut durant l’opération suite à une overdose de chloroforme.

 

Sivess avait déjà pris sa retraite alors, en 1972, un an avant d’être nommé au Hall Of Fame du Dickinson College. Il donna une interview en 1984 à John Steadman du Baltimore News-American où il déclara au journaliste « J’ai toujours pensé que j’étais tout aussi bon que les joueurs que j’affrontais. Mais honnêtement, je n’étais pas amoureux du baseball. C’était juste la voie que j’ai suivi. Le jeu était tout simplement une phase de ma vie ». Pete Sivess ne sera certainement jamais élu au National Baseball Hall of Fame. Mais certainement, est-il, dans un endroit secret ou un obscur registre, au panthéon des membres de l’Agence. « Ce fut un plaisir d’essayer d’aider le pays. C’est aussi simple que ça ».

 

 Source :

Society For American Baseball Research – SABR Baseball Biography Project "Pete Sivess"

Wikipedia

The Baltimore Sun

 

2 commentaires à “Sivess ! Pete Sivess !”

  1. Gaétan dit :

    Normal ! Tu en aurais entendu parler, la CIA se serait occupée de ton cas 😉

  2. francovanslyke dit :

    Merci Gaetan pour ce moment d’histoire ! Je n’avais jamais entendu parler de ce gars !!