La Knuckleball est de retour

L’événement est passé relativement inaperçu mais Honus veillait au grain ! Le 18 mai dernier, Ryan Feiereband commençait le match sur la butte pour les Toronto Blue Jays. Or ce lanceur est le dernier représentant d’une espèce en voie d’extinction : les lanceurs de knuckleball. Celui-ci vient de Corée (KBO) et a la particularité d’être en plus gaucher….. Retour sur une confrérie des plus particulières, souvent raillée mais ô combien redoutée par ceux qui savent !

La Knuckleball, ou "balle papillon" en français, est un des lancers les plus atypiques du baseball. Projetée avec une prise de main très particulière, la balle papillon a pour caractéristique de ne pas avoir de rotation. Elle flotte littéralement dans l’air, décrivant les trajectoires des plus improbables et des plus imprévisibles. il est trés difficile d’avoir du contrôle avec un tel lancer puisqu’elle est tout simplement par définition "incontrôlable". Pour les mêmes raisons, c’est un des lancers les plus difficiles à frapper pour les batteurs et à réceptionner pour les receveurs.

Willie Stargell, power hitter légendaire, disait d’elle  "Throwing a knuckleball for a strike is like throwing a butterfly with hiccups across the street into your neighbor’s mailbox.", soit "lancer une knuckleball pour un strike, c’est comme lancer un papillon en ayant le hoquet à travers la rue pour atteindre dans la boite au lettre de vos voisins "  !

Charley Lau disait aussi "There are two theories on hitting the knuckleball. Unfortunately, neither of them works.", soit "il y a deux théories pour frapper une knuckleball. Hélas, aucune des deux ne fonctionne !"

Jason Varitek, catcher de Tim Wakefield connaissait bien le problème : "You know, catching the knuckleball, it’s like trying to catch a fly with a chopstick"., soit "Vous savez, catcher une knuckleball, c’est comme essayer d’attraper une mouche avec des baguettes"

La knuckleball est vraiment le lancer le plus étrange du baseball.  

La longue saga de la balle papillon

La knuckleball est un art très compliqué à maîtriser. La preuve ? Depuis les origines des Major Leagues, très peu de pitchers l’ont utilisé. Si l’on en croit le site de référence en la matière[[1] http://www.oddball-mall.com/knuckleball/list.htm], seulement près de 80 lanceurs l’utilisaient fréquemment et avec assez d’efficacité pour être considérés comme de véritables knuckleball pitchers. 

Il faut remonter à la "Dead Ball Era" pour les origines. Parmi les plus grands, citons Eddie Cicotte qui, entre 1905 et 1920, remporta 208 victoires et fut souvent désigné comme l’inventeur de ce lancer si particulier. La knuckleball est avec la spitball l’arme des lanceurs prêts à tout pour arriver à leurs fins. Elle entre ainsi dans l’arsenal du trick pitch dés sa création. Cicotte, ce maître de la knuckleball, resta dans l’Histoire pour une autre raison : il faisait partie des célèbres Black Sox qui furent bannis à vie après le scandale des World Series 1919. De là à faire un lien entre tricherie et knuckleball…. 

Eddie Ciccotte, escroc notoire

La balle papillon acquiert ensuite ses lettres de noblesse grâce à trois géants, trois membres du Hall of Fame de Cooperstown: Jesse Haines (qui remporta trois fois les World Series avec les St Louis Cardinals en 1926, 1931 et 1934 et réussit un no-hitter en 1924), Ted Lyons (qui joua en MLB de 1923 à 1946 avec un All-Star et un no-hitter au compteur) et Hoyt Wilhelm (qui gagna les World Series 1954 avec le New York Giants, fut huit fois All-Star et lança un no-hitter en 1958).

Les années 1970 représentent le dernier âge d’or de la knuckleball puisque quatre grands lanceurs l’utilisaient en même temps : les frères Joe Niekro (221 victoires en MLB entre 1967 et 1988) et Phil Niekro (Membre du Hall of Fame, il est le seul knuckleballer à plus de 300 victoires — 316 exactement — obtenues entre 1970 et 1994), Wilbur Wood (164 victoires entre1961 et 1978) et Charlie Hough (216 victoires entre 1970-1994).

Phil Niekro… 300 victoires au compteur le papy !

A la fin des années 1990, l’immense Wade Boggs (3e base de son état) monta sur le monticule à deux reprises et lança en tout 2.1 innings. Sur les 17 lancers qu’il effectua, il lança 16 balles papillon !

Mais tout ceci relève néanmoins de l’anecdote. La Knuckleball est en train de disparaître bel et bien des écrans. Les derniers membres éminents de cette confrérie sont Tim Wakefield et R.A. Dickey, et à moindre niveau, Steven Wright.

Le premier joua aux Pirates puis à Boston. Il appartenait à l’équipe qui mit fin à la Malédiction du Bambino en gagnant les World Series en 2004 avec les Boston Red Sox. Il remit le couvert en 2007 en récoltant une nouvelle bague de champion et le 13 septembre 2011, il remporta sa 200e et dernière victoire sur le monticule.

La trés belle illustration de Katchor de Wakefield, tous droits réservés, The New Yorker

Le second, RA Dickey fut le seul knuckleballer de l’Histoire à empocher le Trophée Cy Young. C’était en 2012 pour les New York Mets. Cette année-là, Dickey remporta 20 matchs et afficha un ERA de 2.73 sur la saison.

 R A Dickey, Ovni des années 2000

Mais RA Dickey a désormais pris sa retraite. Reste donc encore Steven Wright (Boston Red Sox)  le dernier représentant de la guilde des knuckleballer jusqu’à l’an passé. En 2019, l’ancien All-Star signa un contrat d’un an avec la franchise du Massachusetts mais le 6 mars dernier, il reçut une suspension de 80 matchs après un test de dopage positif. On ne l’a donc pas encore revu sur les diamants cette année… 

L’entrée en scène de Ryan Feieraband : une double particularité 

Ryan Feieraband débuta en MLB en 2006 chez les Mariners mais lors des saisons suivantes, il changea plusieurs de clubs et ne parvint pas à s’imposer. Il futalors contraint de s’exiler et de passer deux années en KBO (2016 et 2017), le championnat professionnel sud-coréen.

Cette compétition a aujourd’hui le vent en poupe car la MLB n’hésite plus à aller y faire ses courses. Elle y en recrute des joueurs locaux comme  Hyun-jin Ryu (LA Dodgers), Seung-hwan Oh (Colorado Rockies) ou Jung-ho Kang (Pittsburgh Pirates) mais aussi des joueurs américains ou étrangers évoluant dans ce championnat exigeant. L’exemple le plus connu reste celui d’Eric Thames, recruté en 2017 par les Milwaukee Brewers, après trois ans passés en Corée. 

Ryan Feieraband évolua une saison dans la franchise des Nexen Heroes à Séoul (2015) puis trois autres (2016 à 2018) dans celle des KT Wiz (nouvelle franchise créée à Suwon en 2015). Son passage en Corée ne passa pas inaperçu puisqu’il reste à ce jour le seul lanceur de knuckleball à avoir évolué en KBO !  Avec un certain succès car en 2019, il signe un contrat avec les Blue Jays de Toronto qui le font revenir dans le show des Ligues Majeures.

Ryan Feieraband avoue qu’il lance des knuckleballs depuis l’âge de 13 ans mais il ne l’intégra à son arsenal qu’en 2017 ! Mais l’autre grande particularité de ce joueur est qu’il lance les knuckleball de la main gauche : un fait rarissime. Dans la liste de référence citée un peu plus haut, on trouve seulement…qu’une vingtaine de gauchers ! Le dernier en date, Kirt Ojala, a stoppé sa carrière en 1999… A 33 ans, Ryan Feieraband est donc une véritable curiosité.

Pour le moment, ses performances avec Toronto ne sont pas brillantes (5.2 manches lancée pour 4 K, 11.12 d’ERA et 2.12 de WHIP) mais ne doutons pas que ces prochaines sorties seront scrutées d’un œil attentif.

 

La guilde des knuckleballers 

Les knuckleballers sont si rares qu’ils constituent une sorte de confrérie dans le monde du baseball, ce que montre très bien l’excellent film documentaire "Knuckleball" réalisée en 2012 par Ricki Stern and Anne Sundberg (bande annonce en fin d’article).

Chaque knuckleballer a une trajectoire particulière. Il ne faut pas oublier que de nombreux lanceurs "classiques" de balles rapides ont rebondi en cours de carrière en apprenant à lancer la knuckleball à la suite d’une grave blessure, comme Jim Bouton. D’autres lanceurs comme R A Dickey, qui ne parvenaient pas à s’imposer "classiquement" se sont mis à la lancer pour sauver leur carrière.

Mais le lanceur de knuckleball n’est point populaire. Il est commun de considérer ce lancer avec peu de respect. Le lanceur de knuckleball ne jouerait pas le jeu, et son lancer relèverait non de l’affrontement sportif mais bien toujours du trick pitch. Seul le lanceur de droite mériterait le respect. Jim Bouton expliquait déjà en 1969 dans son livre "Ball Four" que "Personne n’aime s’échauffer avec vous, les coachs ne vous respectent pas. Vous pouvez lancer 7 bonnes manches, et au premier bb, vous allez entendre "ben, c’est normal c’est cette saloperie de knuckleball !"  

"Nobody likes to warm up with you. Coaches don’t respect it. You can pitch seven good innings with a knuckleball, and as soon as you walk a guy they go, ‘See, there’s that damn knuckleball." Jim Bouton

Ainsi, en 2012 quand il gagne Trophée Cy Young, R.A. Dickey déclare que c’est une récompense pour toute « la fraternité de la knuckleball » et alors qu’il reçoit plusieurs appels après cette déclaration, il répond seulement à celui de Phil Niekro, le grand héros de cette confrérie. 

Au sein de ce club de plus en plus restreint, les pitchers s’échangent des conseils et n’hésitent pas à aider les plus jeunes. Pour que se perpétue la tradition de la knuckleball.

Aujourd’hui, chez les scouts, la mode demeure bien entendu au radar et à la puissance des bras. La balle papillon n’est pas populaire, ce qui explique sa lente disparition. 

Mais une tendance commence à se dessiner chez les nouveaux adeptes de la knuckleball : elle est lancée de plus en plus fort. Celle de RA Dickey atteignait les plus de 70 MPH, et celle de Feierabend atteint les 74 MPH, soit la vitesse d’une bonne droite. Peut-être le moyen ultime de se faire enfin respecter autour du diamant ? 

 

BHONUS 

A lire, un article assez révélateur sur la suspicion sur la Knuckleball 

https://www.villagevoice.com/2012/07/01/is-r-a-dickey-juicing-his-balls/

Un site de physiciens de l’illinois passionné par ce lancer http://baseball.physics.illinois.edu/knuckleball.html

La bande annonce du film Knuckleball sorti en 2012  

 

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