Satchel Paige joue enfin en MLB – Partie 1

 

C’est déjà la fin de l’année 2018 et il est donc grand temps de revenir sur une histoire des plus dingues qui est arrivée il y a 70 ans, le début du grand Satchel Paige en MLB au sein des Cleveland Indians à l’âge de ….. 42 ans ! Un rookie donc des plus particuliers. Flash Back sur le parcours d’un champion qui débute forcément par ses débuts, au sein des Negro leagues.

Satchel Paige fut tout simplement l’un des meilleurs lanceurs de l’histoire du baseball, en tout cas le plus grand des Negro Leagues sans débat possible. Son souci, c’est qu’il était noir et qu’à ce titre, sa carrière fut limitée à ces seules ligues réservées aux joueurs non blancs, pur produit de la ségrégation raciale aux Etats Unis. Cette exclusion de fait des grandes ligues réservées aux blancs (MLB (National League et American League) voir de la Pacific Coast League) l’a empêché d’être le plus grand lanceur officiellement de l’histoire du jeu, mais ceci ne l’a pas empêché d’avoir une carrière et un succès faramineux.

Leroy "Satchel" Paige savait qu’il était le meilleur et il n’avait peur de rien. La raison certainement à une vie qu’il a eu à se tailler à coup de poing. En 1918, il est condamné à l’âge de 12 ans à une peine d’incarcération dans un centre pour délinquants à Mount Meigs dans l’Alabama. il y rencontre le Reverend Moses Davis qui tente d’enseigner à de jeunes sans foi ni loi des semblants d’éducation religieuse et une discipline dans le sport, et notamment le baseball. Davis enseigne à Leroy les rudiments du pitching et comme le dira l’intéressé "J‘ai donné 5 ans de ma vie pour apprendre à lancer. C’est finalement à Mount que j’ai débuté ma carrière." Il joue pour différentes équipes semi pro noires en sortant de ce centre. Et déjà, il brille par son comportement. Lors d’un match où son équipe mène 1-0 en 9 eme manche, il y a deux outs et le match semble plié. Hélas, ses coéquipiers enchaînent 3 erreurs de suite et les bases sont alors pleines. Satchel Paige est furax et convoque toute l’équipe au monticule. Il décide qu’il est temps d’en finir. Il demande à ses coéquipiers de s’asseoir et demande même à ses outfielders de sortir de la partie. Leroy remonte sur la plaque et va strike outer le dernier batteur, sous les hourras de la foule. Ne parlez donc pas de pression au Satch !

Satchel Paige va ainsi enchaîner des matchs au sein de différentes clubs, les Chattanoga White Sox en Southern Ligue pour 250 dollars le mois, puis il est vendu dans une grande équipe des Negro League, les Birmingham Black Barons en 1927. Il découvre le haut niveau et connait quelques difficultés à s’adapter. Il est wild mais sous les conseils de son manager Bill Gatewood, il apprend et devient un lanceur trés solide : il lance 89 manches pour une fiche de 7-1 et surtout signe 79 K. Leroy montre qu’il est un lanceur "spécial". En 1929, il fume 17 frappeurs des Cuban Stars lors d’un match, puis 18 K quelques jours après lors d’un match contre les Nashville Elite Giants, soit un record de tout le baseball. On commence à sérieusement parler de lui, même au delà des ligues noires. Satchel Paige devient une star des ligues noires et sa flamboyance attire les foules.

Comme il attire les foules, Satchel Paige est prêté dans l’inter saison pour jouer à Cuba. Mais grand parieur, Leroy arrange les fins de mois en pariant contre sa propre équipe. Il quitte précipitamment Cuba sous le scandale et retrouve sa vie dans les Negro leagues. Le propriétaire de Birmingham va alors le louer pour des équipes adverses au cours de la saison, manière pour le moins particulière de rentabiliser les talents de ce joueur incroyable. 

En 1931, la dépression entraîne la chute de nombreuses équipes dont celle des Black Barons. Satchel Paige signe pour les Crawford Giants, un club de la région de Pittsburg et va signer de grandes performances contre l’autre club de la région, les Homestead Grays, où un certain Josh Gibson explose tous les lanceurs. Ces grandes équipes des Negro league organisent des matchs contre les équipes de blancs dés la fin de saison au sein de la Californian Winter league. Satchel Paige va ainsi affronter les stars blanches en octobre. Le 24 octobre, il gagne 8-1 son premier match, avec 11 K et strike out 4 fois un dénommé Babe Ruth ……en 4 passages. 

Les Crawfords Giants de 1932, certainement l’équipe la plus forte de l’histoire des Negro leagues

En 1932, le club des Grawford Giants va rassembler autour de Satchel Paige les plus grands joueurs de l’époque, dont Josh Gibson arraché aux Grays, mais aussi Oscar Charleston, Cool Papa Bell, Judy Johnson, soit pas moins de 5 futurs joueurs Hall of fame !  Paige devient le meilleur lanceur de l’équipe, sans surprise, et signe en 1934 peut être sa meilleure saison, une fiche de 14-2 avec un ERA de 2,16, 144 K et seulement 26 BB. Paige est un lanceur qui a un contrôle sans égal, et il n’est pas le dernier à s’arranger pour tromper les frappeurs.  Il multiplie les tricks, il a différentes motions, dont la "hesitation pitch", qu’il maitrise parfaitement et ne lance jamais deux fois de la même façon. Le 4 juillet 1932, il signe à nouveau une grosse performance de 17 K contre les Homestead Grays, laissant seulement un BB en première manche à un futur Hall of famer, Buck Leonard. Un incident est notable, Buck Leonard se plaint après l’arbitre pour qu’il examine les balles qui sont frottées à tel point qu’elle ne sont plus du tout rondes ! L’arbitre examine tout ceci pendant que Satch l’invective "tu peux me donner toutes les balles que tu veux, elles finiront toutes comme celles la !".

Satchel Paige est ainsi un gagneur, un vrai filou, aussi flamboyant dans ses excès que précis dans son contrôle. 

A l’automne 1934, il affronte en Californian Winter league la star blanche du moment, Dizzy Dean qui vient de gagner 30 matchs et les World Series avec les Cardinals de St Louis. Satchel Paige remporte le duel au bout d’un match de 13 manches sous le score de 1 à 0, et ce devant une foule de 18 000 fans blancs et noirs réunis pour l’occasion. Bill Veeck, futur propriétaire des Indians, est l’un de ces heureux spectateurs et considère ce match comme "le plus grand duel de lanceurs qu’il ait pu voir de sa vie". Dizzy Dean et Satchel Paige s’affronteront ainsi durant ces ligues d’hiver, Dizzy Dean qualifiant Paige de "meilleur lanceur qu’il ait jamais vu".  

Satchel Paige et Dizzy Dean au Wrigley Field 1942

La carrière de Satchel Paige subit les contrecoups de l’instabilité des Negro leagues, et il part jouer dans le club de Bismarck en raison d’embrouilles avec le propriétaire des Crawfords Giants. Mais son talent est toujours intact, même dans l’adversité. Il semble même qu’il est encore meilleur dans l’adversité.  En 1936, un promoteur américain a l’idée de  créer une équipe autour de la personne de Satch à l’occasion d’un match contre une sélection MLB. Une équipe "Satchel Paige All stars" composée de semi pro de Californie va ainsi rencontrer une sélection de joueur de MLB autour de Ernie Lombardi, et d’une star de la Pacific Coast League qui quitte les Seals pour signer aux New York Yankees, Joe Di Maggio. Le match semble plutôt déséquilibré mais Satchel Paige tient le choc, il strike out 12 joueurs et parvient à tenir un score de 1-1 en 9 manches. En 10e manche, Joe Di Maggio fait rentrer le point sur une frappe sèche et la sélection MLB gagne le match, sous le regard des scouts des Yankees trés satisfaits "Di Maggio est tout ce qu’on pouvait espérer : il a frappé 1 sur 4 contre Paige !". ("DiMaggio everything we’d hoped he’d be: Hit Satch one for four"). 

En 1936, Satch est le joueur le mieux payé des Negro Leagues et il revient aux Crawford Giants. En 1937, la star est approchée par le Dr Aybar, député et manager de l’équipe des Dragones, l’équipe de baseball de Rafael Trujillo, le dictateur de la République Dominicaine ! Le but est de gagner le championnat, et que l’équipe de Trujillo marque les esprits par une victoire sportive censée représenter l’élan du pays pour son président…Aybar recrute trés cher Paige et lui donne 30 000 dollars pour recruter qui il veut pour renforcer les Dragones. Paige fait son marché et signe Josh Gibson, Cool papa Bell, Leroy Matlock, Sam Bankhead. Satchel Paige quitte ainsi son équipe en plein championnat pour rejoindre la République Dominicaine. L’équipe des Dragones devient instantanément la grosse équipe du championnat.

Mais l’ambiance est fort tendue en République Dominicaine. L’équipe est toujours entourée d’une garde présidentielle armée, qui est censée protéger les stars, mais qui les inquiète au plus haut point. Que va t’il arriver s’ils ne gagnent pas leurs matchs et s’il leur arrivait de perdre le championnat ? Les Dragones rencontrent à la fin de la saison les Aguilas Cibaenas de Santiago. Les Dragones gagnent les quatre premiers matchs, grâce notamment à deux belles sorties de Paige…. mais Santiago revient dans la course en gagnant les matchs 5 et 6. Et c’est sous la menace pesante des soldats déjà prêts à un peloton d’exécution que Paige parvient à endiguer Santiago et les bat 6-5. Tout le monde a eu chaud, même Satchel Paige qui s’est vu mourir ce jour-là en cas de défaite. 

Au retour de cette aventure en République Dominicaine, Satchel et les autres joueurs seront sanctionnés par les negro leagues, les propriétaires s’entendant pour ne pas signer les "félons". Satchel en profite pour créer une équipe itinérante, la ‘Satchel Paige All Stars" qui joue contre des équipes comme la House of David sur les routes des Etats Unis. Personne ne peut empêcher Satchel Paige de jouer. 

La vie de Satchel Paige contient des milliers d’autres anecdotes qui font de lui un véritable mythe de son vivant. Satchel Paige est ainsi une légende vivante. Il est la Black Star, comme on l’a vu dans cette bd. Rien ne lui résiste, sa popularité et son talent étant désormais connus au-delà des frontières de l’Amérique noire et parvenant même à toucher le Mexique, Cuba ou Puerto Rico. 

Par son talent et son caractère "bigger than life", Satchel Paige est l’équivalent noir du Babe Ruth blanc. Il règne en haut des Negro league depuis prés de 20 ans. Tous les coachs de la MLB le connaissent et le voudraient, s’il n’existait pas de "Gentlemen’s agreement" excluant tous les joueurs noirs des grandes ligues.

Satchel Paige continue son chemin de son côté et part jouer aux Kansas City Monarchs, changeant souvent d’équipe chaque saison, à la poursuite d’un meilleur contrat, au gré des opportunités. Il joue même une saison aux Black Yankees de New York en 1941. 

Satchel Paige lance pour les Black Yankees en 1941 sous le regard de Groove Alexander

En 1947, une tournée est organisée durant la off Season par Bob Feller, le jeune ace des Indians. Bob Feller a le plus grand respect pour le grand Satch, et il sait que sa présence attire les foules. Il ne connait aucun joueur des Negro Leagues, et ne s’intéresse que peu aux problèmes raciaux. Il sait néanmoins qu’il y a des bons joueurs en Negro Leages. Bob Feller va donc recruter des stars de toute la MLB, et demande à Satchel Paige de faire de même de son côté. Les deux équipes jouent l’une contre l’autre sur 35 matchs joués en 27 jours dans tous les Etats unis. Bob Feller va louer 3 DC3 pour l’occasion qui emmène tout le monde. C’est une nouvelle fois l’occasion pour Satchel Paige d’affronter des joueurs des grandes ligues et ce sur des terrains de Major league. Le duel des deux Aces, tous deux adeptes de la fastball, anime cette rivalité sportive de haut niveau et ce "Barnstorming Tour" enchante les amoureux du baseball, qui rassemble pas moins de 250 000 fans au total. 

Bob Feller et Satchel Paige 

Paige est ainsi la star des Negro leagues et pourtant lorsque Branch Rickey des Dodgers veut briser la ségrégation raciale en lançant un joueur noir en 1947 dans le show, il écarte de son choix immédiatement Leroy Satchel Paige et choisira un joueur au talent bien moins important….. Jackie Robinson. 

Les raisons sont multiples : Jackie Robinson est un jeune joueur en devenir, qui doit faire ses preuves et qui le sait, et non une star d’une quarantaine d’années qui n’aurait jamais accepté la moindre des humiliations qu’allait subir certainement Jackie Robinson durant son périple d’intégration. Branch Rickey connaissait le caractère de Paige et savait qu’il n’était pas le candidat idéal pour courber l’échine et briser au final la ségrégation des grandes ligues. Branch Rickey cherchait un joueur qui pouvait composer et s’écraser si besoin, et ce pour les besoins de la cause.

Mais pour le principal intéressé, la signature de Robinson et son début en 1947 dans les ligues majeures sont vécus comme une insulte à son talent. Une véritable trahison. Lui que toutes les grands stars de la MLB veulent affronter est laissé sur le bord du chemin au profit d’un jeune joueur qui n’a encore rien prouvé. Satchel Paige connait trés bien le jeune Jackie Robison, avec lequel il a joué en 1945 aux Kansas City Monarchs et il sait que le destin vient de lui faire un mauvais tour. Satchel Paige est furieux et ronge son frein. Mais il aura l’occasion de signer un peu plus tard dans les Majors et ce alors que tout le monde le voyait comme un vestige du passé…..    

A SUIVRE…. 

         

 

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