Le Canon de Baseball du Professeur Hinton

Le baseball est un sport de tradition mais aussi de modernité. Très tôt dans son histoire, la technologie s’est employée à résoudre les problèmes qui se posaient à lui, comme celui de la fatigue des lanceurs. Comment éviter une fatigue inutile lors des entraînements de frappe voir en match ? C’est à cette question que le Professeur Hinton tenta de répondre quand il présenta sa machine révolutionnaire en 1897, le canon de baseball.

Charles Howard Hinton naît en Angleterre en 1853. Brillant mathématicien, diplômé de la célèbre université d’Oxford en 1877, il est engagé par l’Uppingham School en 1880. Cette même année, il se marie avec Mary Ellen Boole, fille de Mary Everest et Georges Boole. La mère est une autodidacte douée des mathématiques et le père, mathématicien et philosophe, le fondateur de la logique mathématicienne. Autant dire que Hinton se construit un avenir tout tracé vers la gloire scientifique. D’ailleurs, il se fait remarquer, toujours en 1880, avec un article intitulé « Qu’est-ce que la Quatrième Dimension ? » où il pose les bases des théories modernes sur cette dimension en partant de l’idée d’un hypercube. Bien qu’il ne soit pas le créateur de la notion de Quatrième Dimension, il apparaît comme le plus éminent précurseur moderne en la matière. L’écrivain Rudy Rucker parle de lui comme du « grand philosophe de l’hyperespace ».

En parallèle, il s’installe dans la peau d’un philosophe et d’un écrivain à succès. À travers ses romans de science-fiction ou sa production scientifique, il continue à réfléchir sur la Quatrième Dimension et la logique mathématique. On lui doit notamment le mot « Tesseract », apparu dans son livre « Une Nouvelle Ère de la Pensée » en 1888, (et que les fans des films Avengers reconnaîtront puisqu’il s’agit du cube cosmique qui attise les convoitises dans les films Marvel), pour décrire un cube géométrique quadridimensionnel. Il inventera d’ailleurs plusieurs cubes géométriques dans l’avancement de ses travaux. Vous l’aurez compris, nous avons affaire là à un scientifique novateur et un brillant philosophe. Mais quel rapport avec le baseball qui, à l’époque, est quasi-inexistant en Angleterre, voir en Europe ?

Pour cela, il faut se rendre en l’année 1885 où le brillant Professeur Hinton est tout simplement accusé de bigamie. En effet, Hinton cache bien son jeu et a épousé en 1883 Maud Florence avec laquelle il a des jumeaux sous l’identité de John Weldon. Il faut dire qu’il sait de qui tenir. Son père, James Hinton, auteur et chirurgien, est un ardent défenseur des relations polygames et un chantre de l’amour libre. Il déclara d’ailleurs à la mère de Charles « Le Christ est le sauveur des hommes mais je suis le sauveur des femmes, et je ne l’envie pas beaucoup ». Il fondera même un culte influent sur le sujet.

Reconnu coupable de polygamie, Charles Hinton passe trois jours en prison. Les époux légitimes ne divorcent pas mais l’infamie de la situation dans l’Angleterre victorienne contraint le couple à l’exil. En 1887, les époux Hinton et leurs enfants se rendent au Japon où Hinton prend la tête de la Victoria Public School de Yokohama. Puis en 1893, ils naviguent à nouveau vers un nouveau pays, les États-Unis. Hinton y décroche un poste de professeur de mathématiques dans la prestigieuse université de Princeton. C’est là que le génie de Hinton va croiser le jeu génial du baseball.

Le 20 mars 1897 est publié un article dans le Harper’s Weekly. Son auteur est Charles Hinton et le sujet une machine à lancer des balles de baseball, sous la forme d’un canon. Il vient d’inventer la première machine à lancer de l’histoire du baseball.

On ne sait pas pourquoi Hinton s’est intéressé au baseball. S’est-il pris d’affection pour ce sport ? Reste que l’idée de base était de ménager les lanceurs lors des entraînements de l’équipe des Tigers de l’Université de Princeton. Il écrit dans son article de l’Harper’s Weekly « J’avais remarqué de nombreux cas d’étudiants contraints de renoncer à rejoindre l’équipe parce que leurs bras ne tenaient pas le coup ». À cela, Hinton propose une solution en avance sur son temps, une machine à lancer.

Trop en avance au goût de certains. Son travail est connu dès 1896 puisqu’il effectue une démonstration dans un gymnase de Princeton le 15 décembre et que Hinton en parle en avril dans le Boston Globe. Le Los Angeles Time appelle, cette année-là, sa machine « Frankenstein ». Plus tard, un chroniqueur du Washington Post s’inquiète que le baseball rentre dans « l’âge des robots », dénaturant le National Pastime.

Mais sa machine reçoit également un bon accueil. Cette fin du 19ème siècle est ouverte aux idées futuristes, à l’innovation scientifique et industrielle. Et on va un temps s’enthousiasmer de cette nouvelle invention. Une invention qui n’est pas encore au point et qui ne le sera jamais vraiment.

Sa première idée, esquissée sur croquis, ressemble à une catapulte avec une main artificielle afin de faire tourner la balle. Mais la machine manque de précision dans la visée. Hinton part alors sur l’idée d’une machine en forme de canon où la balle serait projetée à l’aide de poudre à canon justement. Comme il l’écrit encore « Je réalisais que, chaque fois que l’homme avait chercher à projeter une balle avec vélocité, il s’était servi d’un tube chargé de poudre ».

Hinton réalise alors un canon, du diamètre d’une balle de baseball. L’engin fonctionne avec de la poudre à canon et un tube de cuivre télescopique pour varier la vitesse. Le chargement des balles se fait par un système de culasse. Hinton imagine une version portable, utilisable comme un fusil, mais il semble que l’idée en soit restée une, malgré quelques croquis de l’objet.

Une version idéalisée de la machine à lancer de Charles Hinton

Les balles filent de 40 à 70 mph soit jusqu’à 110/115 km/h. Mais Hinton, perfectionniste, ne peut se satisfaire d’une machine à balles directes. Pour que l’invention soit complète, elle doit lancer des balles à effet. Il tente d’abords de placer un fil d’acier à haute résistance à la sortie du canon mais le résultat est que des morceaux de métal potentiellement dangereux sont éparpillés sur le terrain. Pour régler le problème de la courbure, il place des pinces en caoutchouc devant le canon, comme des doigts donnant de l’effet à la balle.

Sa machine, initialement prévu pour les entraînements, va ensuite devenir un joueur à part entière. Après tout, Hinton appelle bien son invention le lanceur automatique (« automatic pitcher »). Ainsi le 10 juin, devant la First Lady, Mrs Grover Cleveland, la machine lance durant trois manches, allouant 4 coups sûrs, un BB, un wild pitch tout en retirant 8 frappeurs. Le match oppose deux clubs de Princeton, le Ivy Club et le Tiger Inn (le Chicago Tribune parle d’un match entre Princeton et Harvard).

Pour l’occasion, ce sont les batteurs qui actionnent le machine. Appuyant sur un dispositif au sol, ils produisent à la plaque un signal électrique qui est conduit par un fil jusqu’à la gâchette du canon. Un dispositif qui permettait de résoudre la peur qu’inspirait la machine. En forme de canon, surnommé « pitching gun », la machine impressionnait, surtout quand la détonation arrivait et que de la fumée sortait du canon.

Pour éviter une trop grande crainte des frappeurs, on demanda, dans un premier temps, à celui qui actionnait la machine de lever le bras avant le tir. Mais de faire tirer les batteurs eux-mêmes étaient encore plus rassurants pour ces derniers. Néanmoins, il fallait un temps d’adaptation avant que les batteurs puissent se tenir correctement à la plaque et frapper des coups sûrs, même si le public était ravi de voir les batteurs se faire tirer dessus par un canon de baseball. Lors de la démonstration de décembre 1896, quand advint le premier tir, le batteur esquiva la balle et le receveur sauta sauvagement sur le côté alors que la balle venait simplement tout droit sur le marbre.

Même avec ses innovations, notre « automatic pitcher » souffrait d’autres problèmes rédhibitoires. La poudre à canon avait tendance à braiser et durcir la balle, la transformant en brique volante après seulement un ou deux lancers. Nous sommes encore dans la Dead Ball Era et on jouait parfois un match avec la même balle. La balle se détériorait déjà assez entre les coups de batte, son passage au sol et les sabotages des joueurs sans parler des substances diverses et variées qu’apposaient les lanceurs pour améliorer leurs effets.

Mais le plus gros problème était son temps de rechargement lors des démonstrations en match ou durant les entraînements. C’est pour cela que la machine ne fut pas utilisée plus de 3 manches le 10 juin 1897. Dans l’édition du 23 juin 1897 du Chicago Tribune, le journaliste estime, après avoir vu la démonstration ce jour là, qu’un match complet avec la machine durerait près de six heures. Ce problème rédhibitoire ne sera jamais résolu.

L’année 1897 verra d’autres démonstration. Quand la ville reçoit une sélection australienne, la machine lance les deux dernières manches. Elle fera aussi une apparition lors d’un match d’exhibition entre l’équipe de Princeton et leurs invités, les Boston Beaneaters, équipe des Big Leagues. Le manager de Boston, Frank Selee, futur manager qui lancera le fameux Tinker to Evers to Chance aux Cubs, refusera néanmoins que la machine lance contre ses joueurs même s’il approuve le principe.

En 1897, Charles Hinton est engagé comme professeur assistant par l’université du Minnesota et introduit avec succès sa machine auprès de l’équipe de baseball. Il reste dans le Minnesota jusqu’en 1900, année où il rejoint l’US Naval Observatory à Washington. Il n’a de cesse, durant toutes ces années, d’essayer de créer une meilleure machine. On retrouve encore la trace d’une démonstration le 13 août 1900 à Memphis. Sa machine fait sensation et Hinton a bon espoir que celle-ci face son apparition sur les terrains du prochain Spring Training. Mais ne réussissant pas à régler le problème du lent rechargement de sa « pitching gun », son invention ne percera jamais dans le baseball.

Charles Howard Hinton

Hinton finit sa carrière à l’US Patents Office au Département du Commerce comme examinateur de brevets chimiques et meurt à 54 ans, le 30 avril 1907, d’une subite hémorragie cérébrale, sans avoir pu perfectionner son « automatic pitcher ». Nul doute que son invention et la publicité autour de celle-ci changea les mentalités et qu’il permit au baseball de rentrer dans une nouvelle dimension.

 

Sources :

L’encyclopédie des sports oubliés, Edward Brooke-Hitching, Ed. Denoël

A Game of Inches, The Story Behind the Innovations That Shaped Baseball, Peter Morris, Ivan R. Dee Editions

Chicago Tribune du 23 juin 1897

A machine before its time, Joshua Robinson, The Wall Street Journal, 21/06/2010

Crazy Cubes, Baseball Cannons, Logic, and the 4th Dimension, 1897, JF Ptak Science Books (2014)

Wikipedia

 

 

Atomatic pitcher, pitching gun, canon de baseball… ou simplement la machine à lancer de Charles Hinton

 

 

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