Entretien avec la voix des Expos, Jacques Doucet

 

Pour les cinq ans d’Honus, j’ai eu envie de vous faire plaisir. Je suis donc allé à la rencontre d’une légende du baseball majeur et francophone, celui qui fut la voix des Expos de Montréal de 1969 à 2004, Jacques Doucet.

Jacques Doucet est une personnalité bien connue des amoureux du baseball des années 70 aux années 2000, de ceux qui se plaisaient à écouter un match de MLB en français, une rareté dans l’histoire du baseball majeur ! Comme dit précédemment, Jacques Doucet commenta à la radio les matchs des Expos de Montréal de 1969 à 2004, soit l’ensemble des saisons durant lesquels les Expos existèrent au sein du baseball majeur. Car, pour ceux qui ne seraient pas aguerris à l’histoire de la MLB, il faut savoir que les Expos furent une franchise créée en 1968 et qui vécut au sein du baseball majeur en Ligue Nationale jusqu’en 2004 avant que la franchise ne déménage pour devenir les Nationals de Washington. Ce fut aussi la première franchise créée en dehors des États-Unis et l’unique franchise francophone de l’histoire de la MLB. C’était donc une franchise particulièrement appréciée par les amateurs de baseball en France durant cette période… et encore aujourd’hui.

Jacques Doucet commenta plus de 5500 matchs de baseball majeur dont deux matchs parfaits (en particulier celui de Dennis Martinez en 1991 pour le compte des Expos). Il devînt même un employé de la franchise vers la fin de l’année 1994. C’est presque naturellement qu’il prend sa retraite en 2005 après le déménagement de l’équipe. Mais une retraite de courte durée puisqu’il devient dès 2006 le commentateur des parties des Capitales de Québec qui évoluent en ligue pro indépendante de la Can-Am. Il occupe le poste jusqu’en août 2011 et son recrutement par TVA Sports pour commenter les matchs des Blue Jays de Toronto avec Rodger Brulotte. À 72 ans, il semble inusable pour le plus grand plaisir des oreilles francophones amatrices de baseball majeur.

Une carrière bien remplie pour ce journaliste né à Montréal et chargé dès 1968 de suivre les Expos pour le compte du journal La Presse. Une carrière qui le mena à être intronisé au Temple de la Renommée du Baseball Québécois en 2002 puis à ceux des Expos et du Baseball Canadien en 2003. Cette année, il a échoué de justesse, pour la 6ème fois, à rentrer au Temple de la Renommée du Baseball à Cooperstown grâce au prix Ford C. Frick, prix remis annuellement à une personnalité des médias récompensant son travail pour le baseball. Ce n’est que partie remise tant sa contribution pour le baseball, en particulier avec les Expos, est importante. Il a d’ailleurs publié trois livres sur le baseball, les deux derniers étant les Tome 1 et 2 d’un ouvrage co-écrit avec Marc Robitaille (auteur du roman un été sans point ni coup sûr), Il était une fois les Expos (Ed. Hurtubise).

Entretien avec la voix éternelle des Expos de Montréal mais cette fois-ci, pour le plaisir des yeux.

L’aventure des Expos de Montréal, première franchise MLB créée en dehors des États-Unis, en terre francophone qui plus est, semble irréelle. Ce fut un choc culturel au sein des ligues majeures et au Québec ?

Jacques Doucet : Ce fut un choc surtout aux États-Unis puisqu’il s’agissait de la première équipe en territoire autre que les USA. Mais au Québec, ce ne fut pas un choc puisque les Royaux de Montréal, de la Ligue Internationale, avaient eu une cote fort populaire jusqu’à leur départ en 1960. Le retour du baseball professionnel, surtout majeur, avait été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme.

Qu’est-ce qui a fait la magie de cette épopée ?

JD :Les premières vedettes des Expos (Rusty Staub, Mack Jones, Bill Stoneman, Coco Laboy) étaient des gens fort sympathiques et leur présence permettait aux amateurs de baseball du Québec de pouvoir regarder, en personne et non à la télé, les grands noms de la Ligue Nationale de baseball dont ils suivaient les péripéties dans les journaux ou à la télé.

Pourquoi a-t-on le sentiment, encore aujourd’hui, d’un sentiment d’inachevé, que le Québec est passé à côté d’une plus belle aventure encore ?

JD : Pour plusieurs raisons. D’abord, les Expos n’ont jamais gagné ou même atteint la série mondiale… la grève de 1994 les a éventuellement conduits au déménagement du club vers Washington… et le stade au centre-ville qui n’a jamais été construit aurait possiblement assuré la survie des Expos pendant plusieurs décennies…

Quelle relation entretenait la franchise avec la partie anglophone du Canada ? Les Expos avaient-ils le soutien des canadiens anglophones ?

JD : De 1969 à 1977, les Expos étaient la seule équipe de baseball majeur au Canada et les amateurs anglophones de tout le pays les avaient adoptés et suivaient assidument leurs activités. Évidemment, lorsque les Blue Jays de Toronto ont vu le jour en 1977, cette fidélité chez les anglophones a diminué, surtout de l’Ontario vers l’Ouest du pays. Les Blue Jays bénéficiaient d’une plus grande visibilité que les Expos à la télévision, donc les amateurs anglophones suivaient davantage leurs activités et il est évident que deux conquêtes de la série mondiale ont fait grandir les Blue Jays dans cette cote de popularité au niveau canadien.

Les Expos ont bénéficié, pour une jeune franchise, de grands talents, de grandes stars, de grands moments de baseball et ont pu aligner des équipes compétitives durant leur histoire… qu’est-ce qui a manqué à la franchise pour franchir le palier des équipes durablement en séries et rester à Montréal ?

JD : L’absence d’actionnaires minoritaires qui croyaient vraiment que le baseball majeur était important pour la vie des Québécois… l’inertie des gouvernements fédéral, provincial et municipal à soutenir les Expos au moment où le dollar canadien ne valait que 60 sous américains, que la majeure partie des dépenses étaient en fonds américains et que la plupart des revenus étaient en fonds canadiens… l’absence de lucratifs contrats à long terme de télévision… et comme je le disais plus haut, le fait que le stade du centre-ville n’ait pas été construit.

D’après vous, aura-t-on la chance de revoir une équipe du baseball majeur au Québec ? Est-ce que le Québec a le potentiel pour l’accueillir ?

JD : On en parle beaucoup, mais il faudrait cesser d’en parler et passer aux actes! Certains disent que de gros financiers y sont intéressés, mais ils ne se sont pas encore manifestés publiquement. Plusieurs sondages, au niveau de l’Amérique, ont révélé ces dernières années que la ville de Montréal était la mieux équipée pour accueillir une concession du baseball majeur. Mais encore, faudrait-il dénicher des gens aux poches profondes désireux d’investir dans un tel projet. Possiblement que le transfert d’une équipe déjà existante (les Marlins ou les Rays) serait la solution la moins onéreuse pour la réalisation d’un tel projet. Il reste aussi une prochaine expansion des cadres du baseball majeur.

En Amérique du Nord, et même en France, votre voix et votre nom sont intimement liés aux Expos. Imaginiez-vous cela quand vous avez commenté vos premiers matchs pour la franchise ?

JD : Aucunement! Au départ, j’ignorais si j’allais aimer cette nouvelle profession et si l’auditoire allait m’accepter. Au fil des ans, j’ai développé une passion pour mon métier et le baseball et cette passion a été contagieuse parmi l’auditoire. Ce qui m’a permis d’exercer ce métier pendant les 33 dernières années des Expos, par la suite au cours de six saisons avec les Capitales de Québec, de la Ligue Can-Am et depuis l’an dernier avec les Blue Jays de Toronto, mais cette fois à la télévision.

Finalement, quelques années après le départ des Expos, vous êtes revenus au micro pour commenter les matchs des Capitales du Québec puis des Blue Jays de Toronto. Le baseball est une drogue de laquelle vous avez du mal à décrocher ? Avez-vous encore des projets que vous souhaiteriez mener à bon port ?

JD : Pas vraiment. Sinon que continuer à exercer ce métier tant et aussi longtemps que ma santé me le permettra et que l’auditoire ne sera pas las de m’entendre. Je suis très fier d’avoir, avec la précieuse collaboration de Marc Robitaille, laissé un héritage aux amateurs de baseball du Québec, soit l’histoire des Expos « Il était une fois les Expos » publiée en deux volumes chez Hurtubise. Ainsi, si jamais le baseball majeur ne devait pas revenir au Québec, il en existera une preuve.

Merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions !

 

BHONUS LECTURE :

Récents écrits de Jacques Doucet publiés sur le site Encore Baseball Montréal

Blog MLB.com de Jacques Doucet

 

BHONUS VIDÉO/AUDIO :

Jacques Doucet partage sa déception suite à sa non-obtention du prix Forc C. Frick une sixième fois sur TVA Sports

Mot de la fin du célèbre commentateur québécois lors du dernier match des Expos

Documentaire sur la voix des Expos

Documentaire Les Expos 25 ans plus tard (couvrant la période 1968-1992) 1ère partie2ème partie3ème partie

 

 

 

5 commentaires à “Entretien avec la voix des Expos, Jacques Doucet”

  1. francovanslyke dit :

    Un interview repris par le SABR http://sabr.org/latest/alibert-interview-expos-broadcaster-jacques-doucet
    Félicitations Gaetan ALIBERT !

  2. francovanslyke dit :

    Super les videos en français sur l’histoire des Expos : 25 ans! merci !!

  3. francovanslyke dit :

    Trés intéressante interview de Monsieur Baseball. Ah, les Expos de Montreal, rien que l’idée d’un club francophone dans le baseball professionnel, cela fait rêver. La liste des incroyables joueurs des expos est longue : Rusty Staub, Andre Dawson, Gary Carter, Tim The Rock Raines, Bill Lee, Pedro Martinez, Charlie Lea…. avec le temps passé, peut être que les Expos ne seraient jamais partis s’il n’y avait pas eu la grève de 1994. Et oui, en 1994, les Expos étaient premiers au classement de la national league Est lorsque la grève éclata l’été 1994 et clôtura ainsi la saison…

  4. LaHuppe dit :

    Rendez-nous Nos Expos ! Ach les salauds* ! Monde cruel… Quand je vois la poésie que dégageait (impression personnelle je l’accorde) la franchise de Montréal et le mauvais goût de tant d’autres aujourd’hui je suis Colère…

    Jacques je te fais la bise ! Merci

    Y avait quoi dans mon thé vert ?!

  5. Fishiguchi dit :

    Un grand merci à Monsieur Doucet.
    Une belle note de prestige pour Honus !
    Nous sommes chanceux (et flattés !)

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