Hit By Pitch ! L’histoire tragique de Ray Chapman
Meddy Ligner revient sur la tragique disparition de Ray Chapman, en pleine Dead Ball Era, dans ce trés bel interview d’un auteur qui lui a consacré une BD, Molly Lawless !
Il y a environ un siècle — le 16 août 1920 —, le lanceur des Yankees Carl Mays lançait une fastball qui heurta la tête du short-stop des Cleveland Indians, Ray Chapman. Celui-ci décéda le lendemain matin et reste, à ce jour, le seul joueur des Major Leagues à avoir perdu la vie suite à des blessures reçues en match.
Cette histoire — et beaucoup d’autres choses — est racontée dans la superbe bande dessinée Hit by Pitch (Mc Farland, 2012), dessinée et scénarisée par Molly Lawless.
Inédite en français, cette œuvre est à ranger auprès des grands romans graphiques sur le baseball comme Black Star, La véritable histoire de Satchel Paige (de James Sturm et Rich Tommaso, édité en France par Delcourt en 2009) et Le Swing du Golem (de James Sturm, paru chez nous au Seuil en 2002).
Ce jour funeste, pour l’ultime match de Ray Chapman, on trouvait deux Hall of Famers en champ droit : Babe Ruth pour New York et Tris Speaker, coach-joueur des Indians.
Au premier coussin des Yankees jouait Wally Pipp qui reste célèbre pour un épisode qui lui arrivera cinq ans plus tard, en 1925.
Suite à un mal à la tête, il demanda deux aspirines et à ne pas jouer le match à venir. Le coach des Yankees lui accorda un jour de repos et donna sa chance à un jeune joueur : Lou Gehrig…qui gardera le poste pour plus de deux mille matchs consécutifs ! Pipp dira plus tard : « J’ai pris les deux aspirines les plus chères de l’histoire ».
En cette année 1920, l’époque est trouble pour le baseball. Le scandale des Black Sox plane sur les Ligues Majeures et le jeu vit à l’heure du Dead Ball finissant. Une atmosphère superbement retranscrite par le dessin de Molly Lawless.
Sa BD nous présente les deux protagonistes du drame : ils avaient quelques points communs (ils sont nés la même année, en 1891, dans le même état : le Kentucky) mais surtout deux personnalités totalement opposées : Chapman croquait la vie, s’affirmant comme un gentleman, agréable et aimé de tous alors que Carl Mays était un taiseux, un solitaire, peu apprécié du public et de ses coéquipiers.
Ray Chapman un gars sympa
Le premier fit ses débuts dans le Big Show en 1912. C’était un excellent défenseur et un coureur rapide sur base. En 1917, il frappa pour .302 sur la saison et vola 52 buts.
Carl Mays, un spitballer
Le second lança son premier match pour les Red Sox de Boston en 1915 et gagna deux World Series d’affilée avec eux (1915 et 1916). Surnommé « Sub » — en référence à sa balle sous-marine —, Carl Mays était connu pour être un spitballer.
Contrairement à ce qui a souvent été dit, la balle fatale lancée par Mays était une fastball, située apparemment dans la zone de strike. Malheureusement, comme hypnotisé, Chapman ne bougea pas, se prit la balle en pleine tempe et s’effondra sur le terrain. Ses coéquipiers accoururent vers lui alors que Mays ne quitta pas le monticule.
Le lendemain, Chapman mourut à l’hôpital. Il pensait raccrocher les crampons en fin de saison pour se consacrer aux affaires…
La une du lendemain
Carl Mays ne vint pas aux funérailles et ne contacta jamais la veuve de Chapman. On lui reprocha longtemps cette attitude. Par la suite, il fut victime de menaces de mort et de demandes de boycott de la part de ses adversaires qui ne voulaient plus jouer contre lui.
La BD de Molly Lawless explique parfaitement toute cette histoire. Elle brise même quelques idées reçues sur le sujet : ce drame ne fut pas à l’origine de l’obligation de porter un casque en MLB (il faudra attendre…1971 !), ni de la fin des spitballs (la décision fut prise avant). La seule conséquence directe fut celle d’utiliser des balles neuves dès que les précédentes étaient abîmées.
Hit by Pitch est un bouquin à lire pour tout fan de l’histoire du baseball, il est truffé d’anecdotes croustillantes (comme ce joueur — Ray Caldwell — frappé par la foudre en plein match — qui perdit connaissance mais termina quand même la rencontre !) et baigné de cette ambiance si particulière du baseball des années 1910-1920.
En bref, si vous maîtriser un peu l’anglais (le texte n’est pas difficile à comprendre) : jetez-vous sur ce livre !!
En attendant et pour vous mettre l’eau à la bouche, en exclusivité pour Honus, l’auteure Molly Lawless répond à nos questions.
1/ Molly Lawless, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Comment me présenter… Je suis Molly, une caricaturiste et graphiste (en pause) qui élève maintenant deux garçons avec mon mari à Boston, Massachusetts. En ce qui concerne la pause, mes deux enfants ont finalement commencé l’école l’année dernière, alors j’ai commencé à avoir le temps de reprendre mon travail, puis la pandémie a frappé et est restée dans les parages. Je suis donc toujours en pause, malheureusement. J’y reviendrai cependant, je le jure ! Mes enfants ne considèrent tout simplement pas cela comme une priorité.
2/ D’où vient votre amour du baseball ?
Mon amour du baseball vient de mon père. C’est un fan de sport, il regardait les matchs et j’ai attrapé le virus aussi. Mais ensuite je l’ai poussé à l’extrême – je découpais les feuilles de scorage (c’était à l’époque des Red Sox du milieu à la fin des années 1980) et je les collais dans un cahier, je recouvrais mes murs de photos de mes joueurs préférés, passés et présents (Babe Ruth, Lou Gehrig et un arrêt-court des Red Sox extrêmement obscur nommé Spike Owen qui m’a lancé une balle pendant l’entraînement au bâton une fois – donc j’étais une fan dévouée). Je mémorisais les statistiques et lisais tout ce que je pouvais trouver sur le baseball, surtout pendant la saison morte. J’ai probablement fait peur à mes parents. C’était intense.
3/ En tant qu’auteur de BD, pourquoi avoir choisi cet épisode particulier de l’histoire de baseball (la mort de Ray Chapman) comme sujet d’un album ?
Mon père avait une encyclopédie de baseball obsolète qui contenait des statistiques exhaustives de chaque joueur, de chaque équipe, chaque année de 1876 à 1981. C’était énorme et incroyable. Il y avait toutes ces histoires et je me suis vraiment intéressée aux anecdotes obscures, à des joueurs décédés au cours de la saison, comme pour me faire peur. Dans les premiers jours du jeu, les gens mourraient de pleurésie et de maladies similaires anciennes, ou disparaissaient ou – comme dans le cas de Ray Chapman – décédaient des suites de blessures subies pendant un match. C’était incroyable pour moi que cela ne se soit pas produit plus – il n’y avait pas de casques !
A la fin des années 2000, lorsque je me suis intéressée aux bandes dessinées et que j’ai commencé à dessiner des histoires d’une page intitulées «Great Moments In Baseball», mes lectures et toutes ces étranges histoires me sont revenues à l’esprit.
C’est là que je dois recommander "The Glory of their times" de Lawrence Ritter avec les meilleures histoires de première main sur le baseball du début du 20e siècle. Cela m’excitait vraiment de raconter ces histoires graphiquement.
Peu de temps après, j’ai lu "The Pitch That Killed", la fantastique histoire de Mike Sowell sur l’affaire Chapman / Mays. Honnêtement, je ne pouvais pas croire que cela restait si méconnu et que ce n’était pas devenu un film. Les personnages étaient si forts et l’histoire si tragique que je voulais en faire quelque chose. À cette époque, un éditeur qui avait vu mes bandes dessinées "Great Moments In Baseball" m’a contacté pour savoir si j’étais intéressée de travailler sur quelque chose de plus long pour eux et j’ai suggéré l’histoire de Chapman / Mays et j’ai plongé directement.
4/ Avez-vous fait beaucoup de recherches pour ce livre ? Où, comment ?
J’ai fait beaucoup de recherches pour ce livre – les personnages étaient devenus si importants pour moi avec le temps que je voulais le faire correctement pour eux, ce qui peut sembler un peu idiot puisqu’ils étaient tous morts depuis longtemps. Il était clair pour moi que c’était une façon de les maintenir en vie. J’ai lu une tonne de livres sur l’histoire du baseball – ceux que j’ai mentionnés ci-dessus ainsi que "Baseball As I Have Known It" de Fred Lieb, les livres de l’époque du deadball de SABR, "Baseball’s Great Tragedy: The Story of Carl Mays" de Bob McGarigle, l’histoire du Polo Grounds et des sites Web aussi, comme la base de données des uniformes du Hall of Fame. J’habitais heureusement près de Washington D.C. à l’époque, donc je pouvais aller à la Bibliothèque du Congrès pour visionner les microfilms des journaux rapportant l’événement quand il s’est produit, ce qui était super.
5/ Tout est vrai dans ce livre ou avez-vous inventé des passages ? Je pense à l’épisode du veau ou celui du mot de Ty Cobb ?
Je suis restée proche de l’histoire vraie, mais je me suis vraiment amusée avec certaines des parties les plus légères ou les plus étranges de l’histoire. Carl Mays est dépeint partout – y compris dans sa propre biographie pour laquelle il était apparemment impliqué – comme un gars très bizarre, peu commode et impénétrable. Et il était impossible de ne pas évoquer cette étrangeté. Alors que Chapman était apparemment simple et facile d’accès, ce qui constitue un contraste des plus intéressants. Bref, oui, l’histoire du veau est vraie ! J’ai joué un peu avec mais c’était d’après sa biographie. L’histoire avec Ty Cobb est aussi réelle. Parfois la vérité est vraiment plus étrange que la fiction.
6/ Quelle fut la réception du votre livre auprès des critiques et des lecteurs ?
"Hit By Pitch" a été bien accueilli et bien évalué heureusement. Ce n’était pas un best-seller ou quoi que ce soit, mais il semble que la plupart des gens qui l’ont lu en ont retiré ce que je voulais qu’ils en retirent- ils ont reconnu les thèmes que j’essayais de faire passer et beaucoup ont été surpris par certains aspects de l’histoire et souvent par l’histoire elle-même – ce qui est génial !
7/ Est-ce que vous regardez le baseball aujourd’hui ?
Je ne regarde plus beaucoup le baseball maintenant, ce qui est très embarrassant. Même quand j’ai écrit le livre, j’étais plutôt imprégnée par l’ère du Deadball. J’adore toujours le jeu et je pense que je pourrais très facilement redevenir passionnée.
8/ Quelles ont vos équipes et joueurs préférés ?
Mes équipes et mes joueurs préférés sont tous anciens 🙂 Enfant, j’étais fascinée par Babe Ruth. Il était si différent des joueurs de baseball de mon temps, et la façon dont il a explosé sur la scène était vraiment excitante pour moi. C’est lui qui m’a fait entrer dans l’histoire du baseball, c’est sûr. Lou Gehrig était aussi très important pour moi à l’époque. J’ai fait une bande dessinée sur Tinker, Evers et Chance et Johnny Evers est apparu comme un gars vraiment intéressant. Ty Cobb est fascinant – je ne peux pas dire qu’il est mon préféré en soi, mais j’ai adoré lire sur lui. En faisant mon livre, je suis devenue vraiment fan de beaucoup de personnages périphériques – Wally Pipp et Tris Speaker, en particulier. J’adorerais en savoir plus sur Wally Pipp, il a cette mauvaise réputation à cause du remplacement de Lou Gehrig et de sa série record de matchs, mais Pipp a eu une carrière très solide avant cela. Puis il y avait son lien avec l’histoire entre Chapman / Mays.
10/ Avez-vous fait d’autres travaux sur le baseball ?
Mes autres travaux sur le baseball sont les bandes dessinées "Great Moments In Baseball" que j’ai mentionnées plus haut.
11/ Planifiez-vous d’autres travaux sur le baseball ?
J’adorerais faire plus de bandes dessinées sur le baseball. Il y a trop d’histoires et de personnages merveilleux auxquels j’aimerais donner un traitement similaire.
12/ Quelles sont vos bandes dessinées de baseball favorites ?
Est-ce que Peanuts compte? J’ai adoré le traitement du baseball par Charles Schulz et le pauvre Charlie Brown. Il y a aussi un superbe roman graphique sur Satchel Paige (Black Star).
Merci Molly !